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lundi 21 décembre 2009
par  LieuxCommuns

Le crépuscule de l’opéraisme italien et ses environs

Texte issu de la brochure « Insurrezione, Prolétaires si vous saviez…, Italie 1977-1980 ». Paris, Ombre hérétique, 1984, 39 p. (traduction extraite d’une brochure du même titre, parue à Milan en 1981). Le crépuscule de l’opéraisme italien et ses environs (Deuxième partie) « Ceux qui (…)

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mercredi 3 février 2010 à 16h12

Yves Coleman et l’apport de l’opéraïsme Qu’est-ce donc qui va réunir les opéraïstes italiens ? Et bien c’est l’idée qu’il faut reprendre Marx à la lumière des transformations récentes du capitalisme. Ce que l’ancien de SoB, Pierre Souyri entreprendra seul et un peu plus tard, sous un angle surtout théorique, dans son livre La dynamique du capitalisme au XXe siècle (éd. Payot. 1983), les opéraïstes vont le tenter collectivement à partir d’un ancrage plus pratique. Ils développent l’enquête ouvrière qui doit leur permettre d’analyser les transformations du procès de production et de travail mais aussi de dévoiler le caractère autonome des luttes à la Fiat de Turin. Et cette enquête ouvrière, ils ne la copient pas de l’enquête maoïste auprès des masses, mais de la conception qu’en avait Marx lui-même . Ils connaissent aussi les enquêtes sur l’ouvrier américain de P. Romano et celles de D. Mothé chez Renault pour SoB, mais il semble que Panzieri aient trouvé ces dernières un peu trop individualistes ou même anarchisantes. Une rupture théorique et pratique est en train de se créer qui constitue les prémisses des luttes des années 68. Ces luttes et ces années que les trotskistes, bordiguistes ou même conseillistes n’ont jamais vraiment comprises prisonniers qu’ils étaient de schémas qu’ils n’ont jamais remis en cause. Aujourd’hui encore, les mêmes ou leurs épigones font un maximum pour occulter ce qui a été marquant à cette époque parce qu’ils n’envisagent jamais que des événements puissent constituer des ruptures.

Puisque Yves Coleman a jugé bon de rajouter un chapeau sur les QR et l’opéraïsme dans son NPNF du 1er janvier en ligne sur son site, et de parler d’une discussion en cours (sans d’ailleurs citer de noms), je ne peux céder à la tentation de faire une remarque sur les dérives produites par sa volonté de trop prouver. Yves vient de décider que Negri était un ennemi à partir d’un livre dont le simple titre manifeste une arnaque certaine, soit de l’éditeur soit de Negri lui-même, alors qu’il n’en connaît manifestement pas les autres et surtout ceux de son époque opéraïste puisqu’il affirme que Negri est après tout un auteur négligeable de l’opéraïsme ! Il est vrai que pour appuyer ses dires sur le caractère stalinien des QR il cite Edoarda Masi qui certes deviendra maoïste mais qui est, elle, un auteur négligeable de l’opéraïsme. En fait Yves confond plusieurs choses :

  • tout d’abord il confond les QR avec une formation politique qui développerait une position commune sur tous les sujets alors que des individus s’y sont regroupés, de sensibilité différente, dans un projet commun. Pour faire des analogies en Italie, on pourra se référer aux Quaderni Piacentini, revue plus tardive, autour de Piergiorgio Bellocchio et en France, toute proportion gardée aux Cahiers de mai et à Temps critiques, deux revues auxquelles j’ai ou je participe. Mêmes si ces revues ne sont comparables ni à une revue de groupe politique comme SoB ni non plus à des revues intellectuelles comme Arguments ou les Temps Modernes, elles n’en sont pas moins, chacune à leur façon, politiques ou même militantes.
  • ensuite il confond les QR et l’opéraïsme. À proprement parler il y a deux périodes et deux expressions de l’opéraïsme. La première est animée par Panzieri et un temps par Tronti. Ce sont des individus plus âgés, surtout Panzieri, qui militent dans les années 50 . La première fois que le terme d’opéraïste est avancé, il provient des rangs du PCI et précisément d’une de ses personnalités de l’époque, Emilio Sereni qui dénonce chez Panzieri la tentative de lier lutte politique et lutte économique par opposition à la théorie de la séparation entre d’un côté le parti de classe auquel est dévolu la stratégie politique et de l’autre, le syndicat qui joue le rôle de courroie de transmission à travers la conscientisation par la lutte économique. Entre 1956 et 1957, il dirige Opinione à Bologne qui regroupe quelques intellectuels anti-staliniens et se propose d’étudier les nouvelles caractéristiques du capitalisme italien sur la base d’une méthodologie marxiste qui se veut strictement scientifique. La base des futurs QR est lancée et en 1961 sort le premier numéro. Negri entre au comité de rédaction mais n’écrira pas d’article signé pour les QR. La revue se situe en rupture avec un marxisme gramscien teinté d’hegelo-marxisme pour rapprocher le marxisme des sciences sociales et surtout de la sociologie politique. Le texte de Marx qui sert de base à l’activité du groupe est « Le Fragment sur les machines » issu des Grundrisse ces derniers devenant l’ouvrage de Marx qui va servir de référence pour eux à l’avenir car il exprime la dynamique du capital alors que Le Capital n’en serait que la description parfois apologétique. Cela s’oppose à la vision dominante pendant longtemps qui a fait des Grundrisse un brouillon du Capital. Une traduction italienne du Fragment paraît donc dans le n°4 des QR. Non seulement on est loin du stalinisme mais aussi des différentes variantes de gauchisme. Il faut par exemple savoir que l’ouvrage ne sera traduit en France qu’en 1968 et sera l’œuvre d’un bordiguiste indépendant (Dangeville). Par ailleurs les écrits de Marx ne sont pas tabous et les plus critiqués sont la Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique ainsi que certains passages du Capital (ou de l’Anti-Dühring d’Engels mais ça c’est déjà plus courant, même en France) dans lesquels sont affirmés l’automaticité du passage au socialisme par le développement d’une contradiction devenue explosive entre développement des forces productives et étroitesse des rapports de production. Les QR séparent alors un « Marx mort » d’un « Marx vivant », ce qui annonce aussi bien les futures tentatives althussériennes de la fin des années 60 pour réfuter les œuvres de jeunesse, qu’à l’inverse, celle des soixante-huitards pour mettre l’accent sur les œuvres de jeunesse ou encore celles de Postone et Krisis sur le Marx ésotérique et le Marx exotérique d’aujourd’hui. Mais c’est seulement après la scission et dans Classe Operaia que des positions s’affirment, contre le stalinisme ou le tiers-mondisme en insistant sur le fait que la révolution se produira dans les pays du centre du capital. À nouveau, une différence apparaît avec ceux qui, comme à SoB lorgnaient plus vers les révoltes possibles dans le bloc soviétique ou ceux qui regardaient vers Cuba ou l’Amérique latine. La revue pour la jeunesse, Classe e partito animée par Piperno et Scalzone, par exemple, ne reconnaît d’intérêt à ce qui se passe au Vietnam que dans la mesure où cela peut servir l’internationalisme prolétarien.
  • la confusion entre léninisme et stalinisme Plutôt que d’attaquer les QR et Negri sur leur supposé stalinisme, il aurait été plus intéressant de les interroger sur leur rapport au léninisme et sur l’évolution de ce rapport au sein de l’opéraïsme. Si la critique s’effectue encore dans des termes traditionnels (capitalisme planifié) pour qualifier un « neo-capitalisme », un nouveau langage émerge pourtant déjà avec l’emploi par Panzieri du terme « d’ouvrier-masse » et d’une expression qui aura son succès plus tard surtout chez Negri : « le despotisme du capital ». Alquati, par exemple, dans son enquête chez Olivetti se démarque de toute adhésion à une conception du socialisme comme étant la synthèse des soviets, de l’électricité et du taylorisme. S’il ne rejette pas l’idée de Lénine de la conscience apportée de l’extérieur, il pense que cela doit se faire en lien avec la sphère de la production, d’où l’idée de l’enquête ouvrière. De même, alors que le vieux mouvement ouvrier continuait à se plaindre de la spontanéité non socialiste des masses Alquati relevait le fait que la spontanéité des ouvriers attirait l’attention sur les formes déjà existantes de l’organisation « invisible » produite par les ouvriers en l’absence d’une organisation de classe formelle sous leur contrôle. Ce problème était réel, mais au moins il était posé ce qui n’était pas le cas des organisations léninistes et trotskistes en France et plus généralement en Europe. Là encore, la dissolution de Potere Operaio en 1973 et la sorte de dilution de Lotta Continua à partir de 1974 sont des signes qui ne trompent pas sur la difficulté à trouver des réponses satisfaisantes. À l’inverse, les autres groupes se replièrent sur les positions gauchistes habituelles, louvoyant entre radicalisme et électoralisme.
  • la confusion entre stalinisme et absence de rupture avec les organisations officielles du mouvement ouvrier C’est peut être là que la position des QR (mais pas de l’opéraïsme d’après 68) est la plus faible. Comme nous l’avons dit, il y avait une contradiction entre des positions théoriques très avancées qui conduisaient à refuser toute connivence avec des syndicats-institutions bureaucratisées devenus de simples représentants du « capital variable » pour reprendre une expression de Tronti, mais il y avait, surtout chez Panzieri une véritable peur de l’isolement qui amenait certains à chercher des contacts auprès des ouvriers de la section métallurgie de la CGIL, à savoir la FIOM. Cela n’est pas exempt de contradictions criantes quand Alquati cherche à la fois refuge chez les jeunes de la FIOM tout en dénonçant le stalinisme . Mais cette situation était encore bien pire chez les trotskistes (très peu influents historiquement en Italie et condamnés à faire de l’entrisme au sein du PCI) et chez les pro-chinois. Tronti rejettait fermement ce qu’il appelait « les tactiques trotskistes » et « les danses chinoises » (Classe Operaia, série III, n°1 (1966). Cela perdurera jusqu’en 1969 parce que contrairement à la France, CGIL et PCI essaieront de « chevaucher le tigre » le plus longtemps possible. Ce n’est qu’à partir de 1971 et surtout 1973 que cela va se gâter quand du côté des activistes, la ligne anti-syndicale va se faire plus dure et quand du côté des organisations traditionnelles, une ligne clairement collaboratrice avec le patronat et surtout avec l’État va triompher. D’ailleurs au sein du PCI, les anciens résistants, souvent assimilés aux staliniens et parfois favorables aux BR (je le concède à Y. Coleman) vont perdre toute influence au profit de dirigeants comme Berlinguer, honnis des ouvriers combattifs. Il n’empêche que la situation n’est pas comparable à la France et que des dirigeants de la CGIL comme Bruno Trentin avaient une autre envergure que des Krasucki ou Séguy.
  • Ces confusions entre QR et opéraïsme, font que Yves, j’espère de bonne foi, va reprocher à la fois à Negri d’avoir un rôle négligeable dans les QR et d’y être le suppôt du stalinisme… tout en ne citant que Masi !
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