Quelle écologie ? André Gorz. In memoriam

dimanche 13 septembre 2009
par  LieuxCommuns

Quelle écologie ? André Gorz. In memoriam

Invitation à la (re)lecture, aux lendemains de la mort choisie d’André Gorz et de la femme que l’on disait sienne, à la veille du dit « Grenelle de l’environnement » …

Critique du capitalisme quotidien, Galilée, 1973.

p. 298 : « (…) l’écologie, par les paramètres nouveaux qu’elle introduit dans le calcul économique, est, virtuellement, une discipline foncièrement anticapitaliste et subversive.

p. 299 (…) L’écologie attaque la production capitaliste au niveau de son but immanent : l’accroissement continu du capital. Elle en vient tout naturellement ensuite, à contester la logique capitaliste au niveau du système tout entier, des rapports sociaux de production, des rapports marchands et de valeur. »

p. 300 : « (…) la non-croissance est contraire à la logique du système capitaliste et incompatible avec le fonctionnement du capitalisme et incompatible avec le fonctionnement du capitalisme tel que nous le connaissons ; elle n’est pas nécessairement incompatible avec la survie du capitalisme sous une autre forme, pendant une période limitée, mais qui peut être longue. »

p. 301 : « [les groupes monopolistes les plus puissants] ne s’effraient pas outre mesure de la nécessité de lutter contre la pollution, de recycler les ressources minérales, de ménager e reproduire l’environnement. Bientôt, ils détiendront le monopole des équipements de dépollution, de recyclage et de production non polluante. »

Écologie et politique, Pts Seuil 1978.

p. 9-10 (« Introduction : leur écologie et la nôtre », texte d’avril 1974 !) : « L’écologie, c’est comme le suffrage universel et le repos du dimanche : dans un premier temps, tous les bourgeois et tous les partisans de l’ordre vous disent que vous voulez leur ruine, le triomphe de l’anarchie et de l’obscurantisme. Puis, dans un deuxième temps, quand la force des choses et la pression populaire deviennent irrésistibles, on vous accorde ce qu’on vous refusait hier et, fondamentalement rien ne change .

(…) [L’écologie] peut créer des difficultés au capitalisme et l’obliger à changer ; mais quand, après avoir longtemps résisté par la force et la ruse, il cédera finalement parce que l’impasse écologique sera devenue inéluctable, il intégrera cette contrainte comme il a intégré toutes les autres.

C’est pourquoi il faut d’emblée poser la question franchement : que voulons-nous ? (…) Il vaut mieux tenter de définir, dès le départ, pour quoi on lutte et pas seulement contre quoi. (…) »

p.12-13 : « La prise en compte des coûts écologiques aura, en somme, les mêmes effets sociaux et économiques que la crise pétrolière ( …). Le pouvoir central renforcera son contrôle sur la société : des technocrates calculeront des normes « optimales » de dépollution et de production, édicteront des réglementations, étendront les domaines de la « vie programmée » et le champ d’activité des appareils de répression. (…)

(…) c’est bien ainsi que les choses risquent de se passer si le capitalisme est contraint de prendre en compte les coûts écologiques sans qu’une attaque politique, lancée à tous les niveaux, lui arrache la maîtrise des opérations et lui oppose un tout autre projet de société et de civilisation. Car les partisans de la croissance ont raison sur un point au moins : dans le cadre de l’actuelle société et de l’actuel modèle de consommation, fondés sur l’inégalité, le privilège et la recherche du profit, la non-croissance ou la croissance négative peuvent seulement signifier stagnation, chômage, accroissement de l’écart qui sépare riches et pauvres. Dans le cadre de l’actuel mode de production, il n’est pas possible de limiter ou de bloquer la croissance tout en répartissant plus équitablement les biens disponibles. »

p. 23-24. En se référant à Ivan Illich et à sa mise en évidence de l’alternative « convivialité ou technofascisme », Gorz souligne : « L’écologie, à la différence de l’écologisme, n’implique pas donc pas le rejet des solutions autoritaires, technofascistes. Il importe d’en être conscient. Le rejet du technofascisme ne procède pas d’une science des équilibres naturels mais d’une option politique et de civilisation. L’écologisme utilise l’écologie comme le levier d’une critique radicale de cette civilisation et de cette société. Mais l’écologie peut aussi être utilisée pour l’exaltation de l’ingénierie appliquée aux systèmes vivants. »

L’écologie politique entre expertocratie et autolimitation, in Actuel Marx, n°12, 2ème semestre 1992 (je ne sais pas si l’article a été repris en volume).

p. 16-17 : Face à la crise écologique, plusieurs approches sont possibles souligne Gorz. Ainsi, une approche possible « (…) s’appuie sur l’étude scientifique de l’écosystème, cherche à déterminer scientifiquement les techniques et les seuils de pollution écologiquement suppportables, c’est-à-dire les conditions et les limites dans lesquelles le développement de la technosphère industrielle peut être poursuivi sans compromettre les capacités autorégératrices de l’écosphère. Cette approche ne rompt pas fondamentalement avec l’industrialisme et son hégémonie de la raison instrumentale. Elle reconnaît la nécessité de limiter le pillage des ressources naturelles et de lui substituer une gestion rationnelle à long terme de l’air, de l’eau des sols des forêts et des océans ce qui implique des politiques de limitation des rejets de recyclage et de développement de techniques non destructrices pour le milieu naturel.

Les politiques de préservation du milieu naturel (…) ne tendent (…) point, à la différence de l’écologie politique, à une pacification des rapports avec a nature ou à la « réconciliation » avec elle ; elles tendent à ménager (au double sens de « ménagement » et de management) en prenant en compte la nécessité d’en préserver au moins les capacités d’autorégénération les plus fondamentales. De cette nécessité on déduira des mesures qui s’imposent dans l’intérêt de l’humanité tout entière et au respect desquelles les États devront contraindre les décideurs économiques et les consommateurs individuels.

La prise en compte de contraintes écologiques par les États se traduira alors par des interdictions, réglementations administratives, taxations, subventions et pénalités. Elle aura donc pour effet de renforcer l’hétérogulation du fonctionnement de la société. Ce fonctionnement devra devenir plus ou moins « éco-compatible » indépendamment de l’intention propre des acteurs sociaux. Des « media régulateurs » tels que le pouvoir administratif et le système des prix sont chargés de canaliser les comportements des consommateurs et les décisions des investisseurs vers un but qu’ils n’auront besoin ni d’approuver ni de comprendre pour le réaliser. Ils le réaliseront parce que l’administration aura su fonctionnaliser les motivations et les intérêts individuels en vue d’un résultat qui leur demeure étranger. L’hétérogulation fiscale et monétaire a, selon ses partisans, l’avantage de conduire au but de l’éco-compatibilité sans que les mentalités, le système des valeurs, les motivations et les intérêts économiques des acteurs sociaux aient à changer. Au contraire, c’est en faisant fond, tout en les manipulant, sur ces motivations et ces intérêts, que le but sera atteint. (…) »

p. 17 : « La prise en compte de contraintes écologiques se traduit ainsi, dans le cadre de l’industrialisme et de la logique du marché, par une extension du pouvoir techno-bureaucratique (…)

p. 17-18 : « L’ambiguïté de l’impératif écologique vient de là : à partir du moment où il est pris à leur compte par les appareils de pouvoir, il sert à renforcer leur domination sur la vie quotidienne et le milieu de vie social, et entre en conflit avec les aspirations originaires du mouvement écologique lui-même en tant que mouvement politico-culturel. Le clivage interne de ce mouvement entre une aile technocratique et une aile radical-démocratique a là sa raison profonde. »

p. 21 « (…) la prise en compte des intérêts écologiques de l’humanité ne prend pas nécessairement, nous l’avons vu, la forme, souhaitable du point de vue des individus, d’une défense ou, mieux, d’une reconquête du monde vécu Elle peut prendre au contraire la forme technocratique d’un renforcement des contraintes et des manipulations exercées par le sous-système administratif ; il est impossible de fonder le politique sur une nécessité ou sur une science sans du même coup le nier dans son autonomie spécifique et établir une « nécessaire » dictature « scientifique », également totalitaire lorsqu’elle se réclame des exigences de l’écosystème que lorsqu’elle se réclame (comme faisait le « diamat ») des « lois du matérialisme dialectique » ».

Crise mondiale, décroissance et sortie du capitalisme in Entropia, n°2, printemps 2007.

p. 51 : « La décroissance est une bonne idée : elle indique la direction dans laquelle il faut aller et invite à imaginer comment vivre mieux en consommant et en travaillant moins et autrement. Mais cette bonne idée ne peut pas trouver de traduction politique : aucun gouvernement n’oserait la mettre en œuvre, aucun des acteurs économiques ne l’accepterait – à moins que sa mise en œuvre ne soit fragmentée en mesures subalternes, étalée sur une ou plusieurs décennies, et vidée ainsi de son potentiel de radicalité pour devenir compatible avec la perpétuation du système économique dominant. »

p. 54-55 : « La décroissance et l’économie fondée sur la valeur d’échange a déjà lieu et s’accentuera. La question est seulement de savoir si elle va prendre la forme d’une crise catastrophique subie ou celle d’un choix de société auto-organisé, fondant sur une économie et une civilisation au-delà du salariat et des rapports marchands, dont les germes auront été semés et les outils forgés par des expérimentations sociales convaincantes. »

Choix de lecture, Lay, le 27 septembre 2007.


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