Sur “REPENSER LA PSYCHE”
A propos du “noyau représentatif originaire – postulé au-delà de l’inconscient freudien et relié au corps”, ne serait-ce pas plus juste de concevoir ce NRO comme “postulé en-deça de l’inconscient...” ?
Il est bon que soit ici réaffirmé le lien psyché-soma comme originaire de la représentation (sinon de l’imaginaire radical ?).
Mais ne pourrait-on pas parler, pour mieux le distinguer, de noyau “représentationnel” (plutôt que “représentatif”) pour signifier qu’il est simplement, à ce stade, en puissance de représentation (mais c’est un terme laid et il faudrait trouver mieux).
D’autre part, je préfère aussi parler de “constante monadique” plutôt que “monade originaire”, car je suis plutôt encline à percevoir la monade comme un impératif psychique, plutôt que comme état ou objet, noyau ou, pire, “centre” de la psyché.
Car aussi bien l’impératif monadique peut être, sous certaines conditions, surdéterminant, autant il peut être aussi, sous certaines conditions, défectueux, ou “abîmé”.
Pour autant, il est vital à la formation d’une individualité consciente d’elle-même en tant que “Un” et constamment capable à la fois de se reconnaître (ipséïté) en autrui tout en s’en distinguant (altérité). Je suis extrêmement sensible, sur ces questions, à ce que l’autisme pourrait nous en dire – il est possible que, lorsque Castoriadis évoquait la pédiatrie avec S. Barbery au sujet de la monade, il ait eu aussi ce souci présent à l’esprit. Je postule cela parce que ça me semble logique.
Que les théorisations d’Aulagnier et de Castoriadis signent “le recentrage de la psychanalyse sur le sens et la signification au lieu du signifiant structuraliste, ainsi que sur la temporalité, l’historicité et la représentation” : oui, j’applaudis des deux mains et j’y ajouterai la symbolisation (ou re-symbolisation), élargie à l’acception sociale-imaginaire du terme et non strictement lacanienne, sans pour autant réfuter la validité basique de cette spécification, mais en la contextualisant dans ce “rapport au monde” que le monde lui-même en tant qu’institué impose à la psyché, afin de dégager, ensuite, la possibilité d’un rapport au monde pouvant être aussi compris réciproquement comme “monde à être” du point de vue du sujet autonome.
Le paragraphe qui synthétise ce en quoi Castoriadis et Aulagnier rompent avec le lacanisme est remarquablement clair.
J’y ajouterai que la question se pose alors, et doit trouver réponse par l’observation pratique, de l’articulation “imaginaire radical/ impératif monadique” : nature de cette articulation, ses perturbations, ses obligations constructives. Car, d’une part, on peut poser le fonctionnement de l’imaginaire radical comme ouvert et postuler d’autre part l’impératif monadique comme, non pas “fermé” (surtout pas fermé !), mais comme exigence de cohérence, nécessité d’agréger du cohérent (bien en-deçà même de toute signification déjà socialisée).
Dans cette perspective, l’imaginaire radical agrégé participe forcément de la constitution monadique, et la soutient ; en retour, cette dernière tend toujours à “unifier” cet IR.
Bien des pathologies peuvent surgir de dysfonctionnements dans cette articulation (notamment lorsqu’il y aurait domination de l’une des deux polarités sur l’autre, sous l’influence du social) et éclairer celle-ci d’autant. Bien des “illusions” collectives aussi.
Lorsque M. Stéphanatos rapporte “l’activité imageante” au pictogramme d’Aulagnier : je suis tout à fait d’accord.
Et, à mon sens, cette “activité imageante” n’est pas, et ne peut être, indépendante de l’IR.
Il souligne l’écart entre Castoriadis et Aulagnier à ce propos (Aulagnier “fixant” le pictogramme dans une genèse qui lui suppose une antériorité, Castoriadis renvoyant la représentation à elle-même). Pour ma part, je pense que les deux dimensions non seulement sont justes, mais coexistent (et cela tout au long de la vie psychique) et je pense que le trauma de la naissance pourrait être “la source” de l’éclatement ET de la synergie de ces deux vecteurs (tout comme il y a synergie entre la monade et l’IR). La représentativité étant toujours et à la fois auto-justifiée et simultanément aux prises avec le temps, c’est-à-dire la mémoire, le devenir, la modification.
L’imaginaire radical de la psyché nouvelle-née achoppe inévitablement sur le sensoriel : il n’y a pas ici, de mon point de vue, contradiction entre le pictogramme d’Aulagnier et la représentation au sens créateur de Castoriadis bien qu’effectivement, le renvoi au sensoriel pour faire comprendre le choix du terme “pictogramme” porte à confusion chez Aulagnier. Mais je doute qu’elle identifie entièrement le pictogramme au sensoriel, comme on pourrait le dire par exemple d’une cicatrice sur la peau.
L’IR tisse du soma dès la naissance, que l’impératif monadique absorbe aussitôt, dans l’indifférencié seul d’abord, certes, mais dans l’indifférencié aussi tout le temps.
Point qui a son importance lorsqu’on considère les comportements collectifs “aveugles”.
En revanche, sur la monade originaire comme clôture, je suis plus dubitative. Que l’en-soi et le pour-soi y occupent une fonction vitalement déterminante, c’est certain.
Mais, si cette monade n’est pas ouverte dès le départ, elle ne peut se développer, soutenir l’évolution de la formation psychique, exiger l’agrégation.
Par ailleurs, il me semble que ce que nous observons comme “clôture” dans l’autisme (c’est-à-dire pb d’ordre spatial) pourrait être plutôt l’incapacité pour la monade de s’intégrer au temps et le temps, autrement dit, de l’agréger tout en s’y agrégeant elle-même (est-ce le commencement qui ferait défaut ?) : il serait possible ici que l’imaginaire radical soit en jeu, en défaut – car la prime représentation du temps, dans la psyché, est nécessairement du ressort de l’IR. Celui-ci se retrouverait en quelque sorte piégé, générant en compensation la “surfonctionnalisation” de l’imagination – et le blocage de ce qu’on pourrait appeler la “respiration” monadique.
Mais la question reste : la monade est-elle unité ouverte “par nature”, dès le départ, ou bien est-ce son articulation à l’IR qui lui apporte cette pénétrabilité vitale ?
Cette question rejoint ce que, plus haut, je dis d’une représentativité qui, à la fois, ne connaîtrait pas d’autre fin ni de source d’elle-même tout en étant constamment en prise avec le temps : comment, dans la genèse de sa formation, la psyché intègre-t-elle le temps, comment le temps l’investit-il, s’il le fait (et jusqu’où) ?
On aurait affaire là à une représentation fondamentale (ou trauma, constellation ou “scène inaugurale”) – représentation qui, elle-même, lance pour ainsi dire la psyché dans le temps, dans l’histoire, et dans les aléas de son “devenir à être”.
Agamben postule ce qu’il appelle “la Voix” comme ce qui, antérieur à l’accès à la parole et l’inaugurant, ouvre à la psyché l’ordre du langage en même temps que celui du temps (la Voix comme “appel du sens” chez Agamben est évidemment présente chez l’enfant sourd, elle peut se tisser d’une infinité de signes insonores mais pour autant tous créateurs de transformations permanentes, d’animations non aléatoires). Cela pourrait, du point de vue de la totalité qu’elle vise, infliger une “blessure” à l’exigence monadique – son incomplétude – à la faveur précisément de laquelle l’IR, ici, vient, par le détour des représentations données et imaginées la “compléter”, la reconstituer, mais en l’obligeant à l’ouverture. Cela donnerait raison à M. Peuch-Lestrade posant “la monade” comme orée de l’objectal. On pourrait aussi supposer que le “défaut” de la Voix pourrait constituer une cause de l’autisme. Pour autant, la prégnation de la “Voix” sur la psyché procède évidemment de l’IR – mais non de la monade (cela rejoint le rôle de l’IR évoqué dans la formation de l’autisme, supra, à propos de la formation d’une “représentation” du temps, si tant est qu’une telle représentation puisse, dans la psyché, se constituer à la fois dans la stabilité et la modification permanente, ce qui reste à démontrer).
Et s’il y a un tant soit peu de vrai dans cette hypothèse, alors l’ex/communication qu’opère l’imaginaire institué de la société contemporaine sur l’imagination radicale pourrait bien ne pas être totalement étrangère à la progression des troubles & pathologies psychiques de nature autistiques (sans exclure les facteurs biologiques).
Je pense que le narcissisme doit être radicalement distingué de l’exigence monadique “originaire”. Les rapprocher au sens où le narcissisme consacrerait une sorte d’absolu de la monade serait une erreur. Le narcissisme participe nécessairement de la socialisation (autrement dit de l’imaginaire “second”) de l’impératif monadique. Dans cet “imaginaire second” qui s’entretisse dans les premiers temps de la vie psychique, est déjà refoulé/transformé l’imaginaire radical : l’impératif monadique “s’accroche” alors au narcissisme, précisément pour subsister (en tant que puissance d’agrégation cohérente), au moins durant un temps.
Qu’il y reste accroché, ça c’est une autre histoire...
C’est donc là où le vecteur temporel, “historique” défendu par Aulagnier prend sa raison : pour rester “fidèle à elle-même” (autrement dit monadique), la représentation doit précisément changer, ou tout au moins et au fil de son développement se modifier, se déguiser, s’artefacter, se sophistiquer. Mais elle n’y perd, évidemment, jamais sa nature d’imaginaire radical (c’est-à-dire en puissance de création sociale, même par inertie), dont elle est l’émanation (la représentation pour elle-même).
Si, effectivement, Castoriadis “postule la monade comme étant à l’origine du fonctionnement psychique dont la socialisation de la psyché viendrait dégager le sujet, référence au modèle freudien de la régression vers un état unitaire que Castoriadis ne critique pas”, alors je serais d’accord avec M. Peuch-Lestrade qui voit là une erreur. Toutefois, je ne suis pas trop d’accord avec lui lorsqu’il situe la monade à l’orée du fonctionnement objectal (donc second par rapport au fonctionnement psychique per se). Je pense avec Castoriadis que “l”impératif monadique” (qu’on peut qualifier “d’impératif catégorique”, du point de vue psychique, pour l’individu) est nécessairement premier.
Mais il n’est pas une “monade” accomplie.
Sous cet angle, la psyché n’est donc jamais totalement accomplie, adéquate à elle-même. Mais pour autant elle n’est jamais totalement non plus “son propre objet perdu”.
Peut-être peut-on dire alors, avec M. Peuch-Lestrade cette fois, que le “basculement” de la psyché dans l’auto-représentation de la monade “absolument accomplie” (et s’étant aliéné en quelque sorte l’IR) peut, ici, piéger la psyché dans l’objectal. Il y a toujours bien sûr oscillation, déséquilibre permanent dont la seule résolution possible n’est évidemment pas “l’équilibre” immobilisé, mais au contraire le mouvement, le changement, l’évolution, la pleine entrée de la psyché dans le temps, ce qui implique aussi pour elle de pouvoir, du point de vue de l’impératif monadique, agir dans une certaine mesure SUR le temps. Le blocage, là, est social et principalement : économique.
Entre tous ces termes, qui recouvrent des réalités encore imprécises, sont nécessairement et toujours en jeu, en synergie, deux impératifs au fond : “l’ensembliste-identitaire” (impératif monadique) et le flot des représentations (imaginaire radical). L’un et l’autre présentant un certain degré d’autonomie, le conflit, et avec lui la création, la poïesis, en résultent.
Il reste que j’ai, comme toujours, énormément de mal à accepter la validité du terme de “clôture” : ce n’est certainement pas parce que l’autisme nous en donne l’image (et reste que c’est nous qui la formons, “du dehors”, cette image, décuplée par l’indicible souffrance de l’autiste), qu’il peut valider l’hypothèse de la monade castoriadisienne comme clôture (même si Castoriadis lui-même y prête parfois le flanc). La monade “clôturée” est d’abord une monade “hors du temps” - ce temps forcément partagé, qui la met aussi en partage à elle-même et, au-delà d’elle, met en partage la souffrance, et la transformation.
Anne Vernet
19.09.09
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