Echanges mails : Sur le relativisme post-moderne (Castoriadis, Latour, Stengers, ...)

dimanche 6 septembre 2009
par  LieuxCommuns

C’est une discussion interne au groupe qui est partie d’un projet qui consistait à lister les auteurs de références et de les présenter sous forme de brochures, d’où désaccords qui s’avèrent au fil de l’échange de plus en plus profonds...

Bonsoir S.,

Je viens de rentrer de notre réunion sur les brochures où j’ai exprimé mon étonnement de voir figurer dans la liste que tu proposes : B Latour, I Stengers, T.Nathan .

On avait également proposé pour la liste Sokal et Bricmont. qui comme Castoriadis dénonçaient un certain relativisme post-moderne pour lequel il n’y a plus de faits mais seulement des interprétations.

Or, les trois auteurs que tu proposes sont résolument relativistes et post-modernes en ce qu’ils ont renoncé à l’idée même de vérité.

Par ailleurs, aujourd’hui, B. a insisté sur le fait que le livre de S et B n’a pas eu que des effets positifs et que certains « scientistes » purs et durs y ont trouvé de quoi apporter de l’eau à leur moulin.

Doit-on s’interdire de critiquer le relativisme de certaines sciences humaines sous prétexte que cette critique peut-être « récupérée » par des « scientistes » ? Inversement, doit-on renoncer à critiquer le scientisme parce que ce faisant on risque de tomber dans le relativisme ? Est-ce que ce qui reste possible n’est pas une 3eme voie qui consiste à refuser aussi bien le scientisme que le relativisme ?

En fait cette question de l’instance critique qui peut limiter le foisonnement interprétatif est particulièrement complexe dès lors qu’on inclut dans le champ de ce qu’on va appeler « réalité » ce qui ne relève pas de la logique ensidique.

C’est un vrai problème, une vraie difficulté philosophique.

Comment ne pas dire n’importe quoi dès lors que l’on sort de la logique ensidique ? Comment définir une instance critique « régulatrice » qui va attester de la validité des discours qu’on va tenir sur un « quelque chose » qui se situe dans une dimension ontologique indéterminée ?

J’ai proposé que l’on retienne pour la liste plutôt que Sokal et Bricmont (ou à côté d’eux) le petit livre de Bouveresse : Prodiges et vertiges de l’analogie. Je continue mon intervention dans ce débat en pièce jointe parce que je souhaite recourir à des notes de bas de page pour les références précises. (le récent différent entre A. et D. montre à quel point citer exactement et de façon vérifiable un texte est important…). Si le texte ne vous paraît pas très fluide, c’est que j’ai réutilisé partiellement un travail qui comporte les références que je tenais à vous communiquer.

A suivre donc dans la PJ… amitiés, J.


Ca fait quatre fois que je recommence ce message, j’ai du mal à trouver le bon ton.

Critiquer des auteurs sur la base non de leurs écrits, mais d’écrits d’autres penseurs sur eux est une méthode qui ne me convient pas. Je m’interroge sérieusement sur l’intérêt de participer à des discussions sur ce genre de bases, surtout lorsqu’il s’agit d’accuser la sociologie des sciences de postmodernisme, alors qu’un de grands principes de Latour (et en ça il m’emmerde) est d’expliquer à quel point le relativisme postmoderne lui fait horreur. Je me fous du relativisme, du scientisme, du pragmatisme, de tous ces marqueurs forts utiles pour ne pas se confronter directement aux textes. Dire que pour Latour, Stengers, Nathan il n’y a pas de réalité extérieure est simplement ridicule (et encore une fois, c’est drôle de voir que ces trois là font exactement le même reproche à Deleuze/Derrida/Foucault).

Il y a des pensées qui permettent de faire prise sur certains objets, et je me fous dans un premier temps de savoir si elles sont inspirées par une ontologie X ou Y. La première question qui m’intéresse est celle de la fécondité (toujours circoncrite) d’une approche, et sur ce plan Latour, Stengers, Nathan, Deleuze etc. sont tout à fait satisfaisants (ce qui ne les exempte évidemment pas de toute critique) pour qui veut bien se donner la peine de mettre de côté leurs petites habitudes intellectuelles. Encore une fois, ça ne m’empêche pas de leur préférer l’approche castoriadienne et de reconnaître qu’il existe des zones de désaccord fondamental, mais je n’ai pas besoin de ne lire et de ne conseiller que des penseurs parfaits et purs.

Dans une communauté intellectuelle en formation comme la nôtre, il me semble que la confiance est fondamentale, et que lorsque l’unE de nous conseille une lecture, le scepticisme naturel des autres ne prenne pas place dans une logique d’opposition, mais conduise plutôt à des demandes d’explications (pourquoi ce texte ? quelle utilité pour nous ? etc). Je suis chagriné de voir que ce n’est pas la voie qui est prise, et comme je n’ai pas envie de passer mon temps à défendre Proudhon, Deleuze ou Latour (en tout cas pas de cette manière-là), j’aimerais que vous me disiez sincèrement si un effort collectif de confiance vous paraît souhaitable et possible.

Amitiés,

S.

PS : je ne discute pas ici le texte de J., très intéressant une fois épuré des procès sans preuve qu’il contient, mais je le ferai avec plaisir lorsque je serai allé voir les références qu’elle propose.


Bonsoir S. et les autres

Comme je voulais répondre aussi précisément que possible j’ai repris ton mail, S., et y ai inséré en bleu au fur et à mesure mes réponses.

Je le mets donc en pièce jointe ainsi qu’un article où je développe la notion de réalisme non objectal (voir plus particulièrement à partir de la p 99). Je n’ai vraiment pas assez de temps pour tout reprendre.

J’ai constaté que le temps que je réponde, tu avais envoyé deux messages. J’y répondrai aussi, d’autant plus que le ton me convient mieux que celui là, mais pas tout de suite.

Amitiés,

J.

Critiquer des auteurs sur la base non de leurs écrits, mais d’écrits d’autres penseurs sur eux est une méthode qui ne me convient pas.

Il s’agissait de faire entendre la voix de Bouveresse puisqu’on hésitait entre le livre de Sokal et Bicmond et celui de Bouveresse (Prodiges et vertiges de l’analogie), et puisque c’était tout de même le fond du problème de s’interroger sur le bien fondé des critiques formulées, enfin de se demander si les auteurs dont tu parles (je n’ai retenu dans mon mail que Latour, Stengers, et Nathan) ne sont pas incompatibles avec la conception de la vérité que défend Castoriadis tout au long de son parcours. Ce qui pose la question de savoir à partir de quels critères précis tu (S.) les retiens dans ta liste. Je m’interroge sérieusement sur l’intérêt de participer à des discussions sur ce genre de bases, surtout lorsqu’il s’agit d’accuser la sociologie des sciences de postmodernisme, alors qu’un de grands principes de Latour (et en ça il m’emmerde) est d’expliquer à quel point le relativisme postmoderne lui fait horreur.

Si le relativisme post-moderniste fait horreur à La tour, c’est que nous ne mettons pas les mêmes idées dans les mêmes mots. Si une des caractéristiques du post-modernisme est d’évacuer la notion de vérité non relative à telle période de l’histoire, à telle culture etc…, je ne vois pas comment on peut considérer que Latour s’y oppose. (au fait, où, quand ? dans quel texte ?). Personnellement, j’emploie le terme « post-moderne » uniquement pour évoquer cette caractéristique . Par ailleurs le courant dont Latour est l’un des principaux acteurs ne représente pas toute LA sociologie des sciences. Il est vrai que la publication de certains ouvrages dans des collections qui sont considérées par le public comme neutres , mais où le courant de sociologie auquel appartiennent Latour, Stengers etc … domine très largement prête à confusion. (par ex Elements d’histoire des sciences, (sous la direction de M Serres)coll in extenso, Larousse . En ce qui concerne Serres, la lecture des 5 volumes de Hermes m’avait enchantée entre 68 et 80.Puis j’ai été plus critique vis à vis de Serres et aujourd’hui ses positions ne me paraissent pas compatibles avec celles de Castoriadis.

Je me fous du relativisme, du scientisme, du pragmatisme, de tous ces marqueurs forts utiles pour ne pas se confronter directement aux textes.

Personnellement, j’ai procédé en sens inverse : c’est après avoir lu une énorme quantité de textes qui me paraissaient très problématiques (dans le contexte d’un travail sur un des différents courants nominalistes contemporains) que j’en suis venue à recourir à certains termes comme relativisme et post-modernisme, parce qu’on est bien obligé de disposer de quelques étiquettes permettant d’éviter de longues périphrases ! J’observais justement samedi dernier que la lecture du livre de Sokal et Bricmond posait un problème : si on n’a pas lu les auteurs auxquels ils se réfèrent, il me paraît difficile de se faire une opinion. Il se trouve que grosso-modo entre 1970 et 1990, j’ai lu tous les auteurs dont ils parlent, et certains même, avec passion. Mais S et B m’ont paru éclairants du fait même que certains passages qui m’avaient posé problème à l’époque (en particuliers chez Kristeva mais pas seulement) étaient ceux-là mêmes qu’ils ont retenus pour en proposer une critique qui me paraît crédible.

Dire que pour Latour, Stengers, Nathan il n’y a pas de réalité extérieure est simplement ridicule (et encore une fois, c’est drôle de voir que ces trois là font exactement le même reproche à Deleuze/Derrida/Foucault).

Je me suis efforcée de proposer une argumentation... Je n’ai pas dit que ces auteurs considéraient qu’il n’y avait pas de réalité extérieure (ils seraient délirants), mais qu’il ne le considèrent pas comme un obstacle résistant à leurs constructions. Quant au fait de dire avec Latour qu’une chose n’existe pas tant qu’elle n’est pas nommée et que toute découverte est en réalité une invention, voilà qui pose un sérieux pb d’épistémologie et est en tout cas en totale opposition avec la position de Castoriadis.

Il y a des pensées qui permettent de faire prise sur certains objets, et je me fous dans un premier temps de savoir si elles sont inspirées par une ontologie X ou Y. La première question qui m’intéresse est celle de la fécondité (toujours circoncrite) d’une approche, et sur ce plan Latour, Stengers, Nathan, Deleuze etc. sont tout à fait satisfaisants (ce qui ne les exempte évidemment pas de toute critique) pour qui veut bien se donner la peine de mettre de côté leurs petites habitudes intellectuelles.

La question de l’ontologie : c’est une notion à laquelle Castoriadis n’a cessé de revenir, précisément en opposition avec la prolifération de discours qui ne réfèrent à rien qui résiste un tant soit peu à ce qu’on en dit. J’ai été plus particulièrement sensibilisée à cette question dans le champ de la psychopathologie et plus particulièrement de la psychanalyse où le « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations » a particulièrement sévi.Et fait pas mal de ravages quand les patients avaient subi des traumatismes effectifs et que ceux ci étaient entendus comme des fantasmes (et même si un traumatisé a aussi un inconscient !) J’ai fait un travail sur Serge Viderman dont La construction de l’espace analytique paru en 70 a entrainé énormément de polémiques, avec d’un côté les « réalistes non critiques » qui considéraient que l’inconscient était déjà là « tout fait » avant qu’une interprétation de l’actualise.et de l’autre les « nominalistes »(non des nominalistes « économes » comme Occam ou aujourd’hui Goodman, mais des nominalistes que j’ai qualifiés d’ « exubérants » parce qu’ils multipliaient les entités au lieu de les limiter). ces « nominalistes disaient avec Viderman « l’inconscient EST ce que nous en disons ». Ne pouvant être d’accord ni avec les uns ni avec les autres, j’ai proposé une tierce position qui est assez proche de celle de Laplanche qui défend un réalisme de l’inconscient tout en y voyant le résidu d’un processus de mise en langage qui a partiellement échoué.

« petites habitudes intellectuelles » : j’ai la réputation de me laisser enfermer dans aucune école !.. Mon « parcours » que je n’ai mis en ligne que pour ouvrir la possibilité d’un dialogue, prouve que le moins que l’on puisse dire est que je n’ai cessé d’aller de remise en question en remise en question de mon propre travail ! Encore une fois, ça ne m’empêche pas de leur préférer l’approche castoriadienne et de reconnaître qu’il existe des zones de désaccord fondamental, mais je n’ai pas besoin de ne lire et de ne conseiller que des penseurs parfaits et purs.( = ?) J’ai pour ma part des points de désaccord avec Castoriadis, notamment en ce qui concerne la « monade psychique ». Mais je pense que si je propose un texte de Laplanche pour la liste, il faudra préciser que c’est comme outil critique. J’ai crû comprendre qu’on ne retenait que des textes qui ne soient pas en oppositions avec Castoriadis. C’est peut-être un point à revoir.

Dans une communauté intellectuelle en formation comme la nôtre, il me semble que la confiance est fondamentale, et que lorsque l’unE de nous conseille une lecture, le scepticisme naturel des autres ne prenne pas place dans une logique d’opposition, mais conduise plutôt à des demandes d’explications (pourquoi ce texte ? quelle utilité pour nous ? etc).

J’ai lu les auteurs dont tu parles. Ne devrais-tu pas t’adresser à toi-même ta protestation ? Je ne me situe pas dans une logique d’opposition mais d’argumentation. J’ai donné beaucoup de citations précises …

Je suis chagriné de voir que ce n’est pas la voie qui est prise, et comme je n’ai pas envie de passer mon temps à défendre Proudhon, Deleuze ou Latour (en tout cas pas de cette manière-là), j’aimerais que vous me disiez sincèrement si un effort collectif de confiance vous paraît souhaitable et possible.

Il ne s’agit pas de défendre ou pas Latour ou d’autres mais de voir que certaines pensées sont incompatibles. Si tu lis par exemple parallèlement « Petite réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches » de Latour, et tous les passages des textes de Castoriadis où il se réfère aux notions de « fait », « réalité » et « vérité », je ne vois pas comment tu peux les mettre en accord. Comme sur ce point, il n’y a pas un texte (le seul qui est entièrement consacré à la question de la vérité est la transcription de l’année 86-87 du séminaire, publié sous le titre « sujet et vérité »), mais que ces notions se trouvent partout tout au long de son œuvre, je ne citerai qu’un exemple dont je me contente de donner la référence parce que je n’ai pas le temps de tout recopier : vois, dans « sujet et vérité », la page 256. »la phrase « toutes les tribus du monde croiraient-elles le contraire, ce serait faux », ne pourrait être de Latour.

PS : je ne discute pas ici le texte de J., très intéressant une fois épuré des procès sans preuve qu’il contient, mais je le ferai avec plaisir lorsque je serai allé voir les références qu’elle propose.

1) ça, c’est presque drôle ! si ton message n’est pas une réaction au mien, j’avoue que je ne vois pas à qui il s’adresse !

2) quels procès sans preuve ? Preuves par rapport à quelle(s) affirmation(s) ?

3) Faire des procès ne m’interesse pas. J’ai simplement essayé depuis très longtemps de mettre en forme une conceptualité qui permettrait de trouver une position de pensée qui ne se situe ni dans la perspective d’une vérité conçue comme adéquation à un réel déjà « tout fait », ni dans une pure construction qui ne tiendrait compte d’aucune résistance d’un réel que j’appelle « non-objectal(dans une ligne de pensée proche de Gadamer et de Ricoeur ainsi que de certains phénoménologues contemporains (Richir, Garelli +Simondon et quelques autres…). Non objectal renvoie ici à l’idée que ce réel n’est pas un objet pensable en termes ensidiques. De mon point de vue (qui est un point d’arrivée et non un point de d épart) , il y a 2 façons de contester la validité d’un réalisme inconscient de la part de construction à l’œuvre dans toute mise en évidence de ce réel non objectal : -la façon post-moderne pour laquelle toute découverte finit par se réduire entièrement à une invention (le réel est effet de langage sans excès du premier sur le second),- la façon que jusqu’ici je n’ai trouvée que chez des phénoménologues, chez Castoriadis et Simondon qui procède d’un chiasme entre invention et découverte.

4) Je n’ai pas le temps d’écrire davantage maintenant. On peut se reporter à mon article « La désymbolisation en question » , certes anciens mais que dans les grandes lignes je ne renie pas, même si sur certains point je pose les problèmes autrement. J’ai surligné les passages consacrés au « réalisme non objectal ».


Chère J. (et touTEs),

Merci d’avoir pris le temps de répondre aussi précisément et avec tant de bonne volonté à un mail pas forcément très sympa. Tes réponses sont éclairantes et permettent bien plus d’ouvrir une discussion que mes coups de gueule. Je vais essayer d’y donner une suite, moins précise que la tienne pour le moment.

  • Pour le combat Bouveresse/S et B, je m’en remets à votre choix ; je ne connais Bouveresse directement que par ses écrits -excellents- sur Wittgenstein (qu’on a oublié, tiens, sur la vérité ça se pose quand même comme référence, moins sur l’autonomie), et je n’ai jamais lu S et B. Mon pote m’a soufflé que c’était des scientistes bien hard, mais je n’y connais rien.
  • La compatibilité Nathan/Stengers/Latour et Casto sur la question de la vérité ne m’apparaît certes pas donnée, mais tout à fait intéressante à produire. Si ces trois auteurs ont en commun, non de récuser les notions de vérité et de réalité, mais de tenir sur elles un discours anthropologique, il ne me semble pas néanmoins qu’ils/elles les dissolvent dans le relativisme. Au contraire, ils/elles s’intéressent, chacunE dans leur domaine, à la question des pratiques de production de vérité au sein d’un univers symbolique donné. Ils font, en gros, à la modernité occidentale un reproche du même type que Casto au marxisme : non pas de théoriser la réalité d’une certaine manière, car c’est au contraire ce qui permet aux modernes/aux marxistes de faire prise sur elle et de la transformer effectivement, mais de prendre cette théorie pour la réalité même, et donc de se plonger dans une contradiction totale : une nouvelle praxis visant à changer le monde qui se maintient identique dans un monde qu’elle a changé est une absurdité. Pour Latour, notamment, la modernité, par l’imaginaire nouveau qu’elle promeut, permet la prolifération d’entités hybrides qui ne cessent de composer son monde, mais dans le même temps refuse de reconnaître ces entités hybrides comme telles au nom du schéma initial (séparations nature/culture et hommes/objets) qui a permis leur production. (Je me fonde ici sur Nous n’avons jamais été modernes, petit essai programmatique dirigé, justement, contre les postmodernes qui en accordant un statut privilégié au langage à l’exclusion de tout autre pan de la réalité ne font selon Latour que déplacer la -fausse- rupture des modernes ; je ferai peut-être un mail plus précis sur ce bouquin bientôt). L’étude anthropologique de la science par Stengers, de la thérapie par Nathan, me semblent relever d’un mécanisme similaire : la place fondamentale accordée aux pratiques en vise pas à tout égaliser, mais à comprendre par en-bas ce qui fait la spécificité d’une pratique scientifique ou thérapeutique. Effectivement, il y a là une méfiance sous-jacente vis-à-vis d’une certaine épistémologie (j’aurais du mal à définir laquelle), mais je n’y vois pas d’incompatibilité avec Casto (dont je ne connais pas toute l’oeuvre, seulement ISS et une vingtaine d’articles des carrefours, donc n’hésitez pas à m’aiguiller vers les texte où il refuserait d’étudier les sciences par les pratiques scientifiques elles-mêmes).
  • Pour Latour et les postmodernes, comme je l’ai écrit il dénonce violemment (trop à mon goût) le postmodernisme dans Nous n’avons jamais été modernes, que je n’ai pas sur moi, mais je peux envoyer des citations plus précises dès que je remets la main dessus. Plus généralement, en disant avec J. qu’ « une des caractéristiques du post-modernisme est d’évacuer la notion de vérité non relative à telle période de l’histoire, à telle culture etc », je ne suis pas sûr de voir qui est postmoderne. Tout dépend de la réponse à la question « l’évacuer d’où ? ». Ce que beaucoup d’auteurs disent, et j’aurais tendance à être d’accord avec eux/elles, est que :

- La question de la vérité hors de son champ social historique de déploiement n’est pas intéressante ; si des discours vrais sont possibles et féconds, des discours vrais portant sur la vérité le sont beaucoup moins.

- La modernité occidentale inaugure un certain rapport à la vérité, qui ne peut être simplement défini comme le « vrai » rapport à la vérité, ni comme le rapport « tyrannique » à la réalité. En gros, vouloir se rendre maîtres et possesseurs de la nature n’a en soi fait de nous ni des dieux ni des monstres, mais a eu certains effets cruciaux ; pour Casto, (re)création conjointe des projets d’autonomie et de maîtrise illimitée, pour Foucault invention de techniques sociales de production de vérité et passage d’un monde de la similarité à un monde de l’ordonnancement, pour Latour prolifération d’hybrides et rejet concomitant de l’idée d’hybridation etc. - L’imaginaire social historique, et parmi celui-ci le rapport à la vérité, n’est pas produit par des théoricienNEs spécialiséEs de l’imaginaire : on ne peut simplement étudier les théories d’une époque pour la comprendre, et des éléments de tout ordre peuvent nous éclairer sur l’imaginaire d’une société : la primauté du rapport scientifique au langage est socialement construite et doit être explicitée dans ses causes comme dans ses effets.

  • Sur la connaissance des textes, il est certain que je ne peux prétendre à la moindre expertise ; tu dis, J., que tes -ismes sont le résultat d’un processus long de travail et de pensée. J’imagine que tu serais d’accord pour dire que tu n’aurais pas du tout le même rapport à eux si on t’avait dit : « ne lis pas ces textes, c’est du relativisme, du postmodernisme etc ». C’est parce que tu les as lus que ton utilisation personnelle des -ismes a un sens. Déconseiller des livres qui appartiennent à ces catégories pose alors un gros problème : tu empêches les autres d’emprunter un chemin similaire au tien, et donc d’avoir une utilisation aussi intelligente et éclairée que la tienne de ces catégories. Il me semblerait plutôt intéressant de se demander, parmi tous ces bouquins relativistes ou postmodernistes, lesquels sont des pertes de temps, et lesquels sont, même par delà leurs erreurs, à notre avis fondamentaux pour le cheminement intellectuel des personnes à qui l’on s’adresse et qui veulent s’interroger sur le projet d’autonomie. Je ne pense pas que cette approche soit anti-castoriadienne ; je viens de lire un texte super bien sur Weber (sur un bouquin de Raynaud sur Weber) où Casto le démonte grave tout en conseillant à plusieurs reprises d’aller le lire et en en rappelant la centralité. Idem pour Marx, bien sûr.
  • Le problème est qu’on a choisi de ne mettre que des textes qui ne sont pas « en opposition avec Castoriadis ». J’ai du mal à comprendre ce que cela peut signifier, à vrai dire. Il me semble que nous pouvons nous faire collectivement confiance pour ne pas aimer et penser avec des auteurs radicalement incompatibles avec Casto, ou stupides. Je pensais que la brochure était destinée à rassembler des livres permettant de faire avancer le projet d’autonomie et c’est dans cette optique que j’ai fait mon choix de bouquins : en conseillant des textes qui traitent, à différents égards, de ce qu’est, pourraît être ou devenir, un sujet -individuel ou collectif- autonome, pas forcément en en présupposant la possibilité, au contraire : il me semble que mettre le doigt sur les contradictions, voire les impossibilités, d’un certain rapport à l’autonomie est une tâche fondamentale si on ne veut pas en rester au voeu pieux.
  • Il faut que j’aille voir ce que tu as écrit, J.... Désolé pour les « petites habitudes », c’était très malvenu. La fin de ton message contient trop de références que je ne connais pas, dans quelques années, peut-être, je pourrai y répondre. Merci pour l’article, je vais le lire de ce pas.

Excusez-moi touTEs de m’être un peu emporté, et merci mille fois J. d’avoir pris mon attitude avec tant de mansuétude.

A bientôt,

S.


Bonsoir S. et tous les autres,

Eh bien, Je suis plutôt contente que nos échanges retrouvent un climat plus serein !

J’ai l’intention de répondre à tous tes messages, S. , mais il faudra attendre un peu…J’ai commencé à faire une sorte de recensement des textes de Castoriadis où la question de la vérité est traitée (en rapport toujours avec le projet d’autonomie). Je suis en train de relire Sujet et vérité, je viens de relire dans Domaines de l’homme : « portée ontologique de l’histoire de la science », « l’époque du conformisme généralisé » dans « le monde morcelé, », et « anthropologie, philosophie, politique » dans La montée de l‘insignifance . Ce sont les textes où Casto aborde le plus directement la question de la vérité et où il s’oppose systématiquement au relativisme. Je continue à penser qu’il est bon d’avoir des repères précis pour argumenter.

Bonsoir S. et les autres,

Je procède comme la dernière fois S., et t’adresse ma réponse en PJ.

Je joins également des extraits de « Sujet et vérité » le séminaire de Castoriadis de 86-87.

Evidemment c’est en même temps adressé à tout le monde.

Pour le combat Bouveresse/S et B, je m’en remets à votre choix ; je ne connais Bouveresse directement que par ses écrits -excellents- sur Wittgenstein (qu’on a oublié, tiens, sur la vérité ça se pose quand même comme référence, moins sur l’autonomie), et je n’ai jamais lu S et B. Mon pote m’a soufflé que c’était des scientistes bien hard, mais je n’y connais rien.

Juste une remarque : Castoriadis s’oppose explicitement à Wittgenstein. Je peux retrouver les références. Ce qui évidemment ne dispense pas de lire soi même Wittgenstein !

- La compatibilité Nathan/Stengers/Latour et Casto sur la question de la vérité ne m’apparaît certes pas donnée, mais tout à fait intéressante à produire. Si ces trois auteurs ont en commun, non de récuser les notions de vérité et de réalité, mais de tenir sur elles un discours anthropologique

il y a plusieurs discours anthropologiques et par exemple, celui de Devereux et celui de Nathan qui a été son élève « dissident » s’opposent. Par exemple pour Devereux, il y a des sociétés malades, il me semble que pour Nathan la notion de maladie se définit toujours par rapport à une société donnée et ne concerne en ce sens que des individus. Le simple fait de concevoir que des sociétés avec leur institution imaginaire peuvent être malades signifie que l’on recourt à d’autres critères que relatifs à l’institution de cette société pour départager malade/saint, en particuliers en psychiatrie délirant/non délirant. C’est d’ailleurs toujours un problème très difficile dans la pratique, parce qu’à la fois on ne peut pas ne pas tenir compte de la culture d’origine du patient ET on ne doit pas se contenter de dire : puisque dans sa culture telle croyance est admise, il ne délire pas quand il s’approprie cette croyance. On doit recourir à des critères qui ne dépendent pas d’une culture particulière.(je ne vais pas développer peut-être parce que ce n’est pas vraiment le lieu ?)

, il ne me semble pas néanmoins qu’ils/elles les dissolvent dans le relativisme. Au contraire, ils/elles s’intéressent, chacunE dans leur domaine, à la question des pratiques de production de vérité au sein d’un univers symbolique donné.

sur ce point lis les extraits de Casto que je mets en PJ.

Ils font, en gros, à la modernité occidentale un reproche du même type que Casto au marxisme : non pas de théoriser la réalité d’une certaine manière, car c’est au contraire ce qui permet aux modernes/aux marxistes de faire prise sur elle et de la transformer effectivement, mais de prendre cette théorie pour la réalité même, et donc de se plonger dans une contradiction totale : une nouvelle praxis visant à changer le monde qui se maintient identique dans un monde qu’elle a changé est une absurdité. Pour Latour, notamment, la modernité, par l’imaginaire nouveau qu’elle promeut, permet la prolifération d’entités hybrides qui ne cessent de composer son monde, mais dans le même temps refuse de reconnaître ces entités hybrides comme telles au nom du schéma initial (séparations nature/culture et hommes/objets) qui a permis leur production. (Je me fonde ici sur Nous n’avons jamais été modernes, petit essai programmatique dirigé, justement, contre les postmodernes qui en accordant un statut privilégié au langage à l’exclusion de tout autre pan de la réalité ne font selon Latour que déplacer la -fausse- rupture des modernes ; je ferai peut-être un mail plus précis sur ce bouquin bientôt).

J’ai parfois l’impression que Latour s’invente des ennemis sur mesure mais je n’ai pas lu Nous n’avons jamais été moderne, j’apprécierais donc ton compte rendu.

L’étude anthropologique de la science par Stengers, de la thérapie par Nathan, me semblent relever d’un mécanisme similaire : la place fondamentale accordée aux pratiques en vise pas à tout égaliser, mais à comprendre par en-bas ce qui fait la spécificité d’une pratique scientifique ou thérapeutique

. La lutte contre une idéologie avec une autre idéologie me paraît tellement forte chez Latour Stengers et Nathan qu’il me paraît difficile d’invoquer la « pratique ». D’ailleurs des trois, seul, Nathan a une pratique qui soit autre que la pratique de la pensée et des idées( que je respecte évidemment puisque je ne cesse …de la pratiquer !). Mais quand tu parles de pratique, je suppose que tu veux parler d’autre chose ? Pour ce qui est de la pratique psy de Nathan, je crois que c’est souvent un grand clinicien (pas toujours, voir le mail d’Anne) mais ce serait à mon sens plus en dépit de ses idées que grâce à elles ! En sorte que je crains que les apprentis psy qui se fient un peu trop à ses écrits ne commettent beaucoup de gaffes. Cela peut évidemment être discuté. Dans ma propre pratique thérapeutique, je dois dire que je n’ai (consciemment) aucune théorie constituée en tête quand je travaille avec un patient. Je prends la situation et le patient comme singuliers et j’essais avant tout d’ouvrir un espace commun où on va pouvoir s’entendre. Evidemment, tout ce que j’ai lu sans doute est là mais pas de façon thématisée. Quand toutefois, je réfléchis à ce travail, l y a des façons de faire qui me paraissent plus crédibles que d’autres, celle de jean Oury par ex. Mais j’ai vraiment tendance à penser que pour ce qui est d’une pratique aussi concrète que la thérapie le cœur, les trippes, le bon sens et l’intuition du psy sont plus important que toutes les théories.(même si je crois qu’il gagne à en connaître beaucoup, de préférence antagonistes).

Effectivement, il y a là une méfiance sous-jacente vis-à-vis d’une certaine épistémologie (j’aurais du mal à définir laquelle), mais je n’y vois pas d’incompatibilité avec Casto (dont je ne connais pas toute l’oeuvre, seulement ISS et une vingtaine d’articles des carrefours, donc n’hésitez pas à m’aiguiller vers les texte où il refuserait d’étudier les sciences par les pratiques scientifiques elles-mêmes).

pour les incompatibilité, vois le texte en pièce jointe. J’espère qu’il te donneras envie d’aller à la source.

- Pour Latour et les postmodernes, comme je l’ai écrit il dénonce violemment (trop à mon goût) le postmodernisme dans Nous n’avons jamais été modernes, que je n’ai pas sur moi, mais je peux envoyer des citations plus précises dès que je remets la main dessus. Plus généralement, en disant avec J. qu’ « une des caractéristiques du post-modernisme est d’évacuer la notion de vérité non relative à telle période de l’histoire, à telle culture etc », je ne suis pas sûr de voir qui est postmoderne. Tout dépend de la réponse à la question « l’évacuer d’où ? ». Ce que beaucoup d’auteurs disent, et j’aurais tendance à être d’accord avec eux/elles, est que : - La question de la vérité hors de son champ social historique de déploiement n’est pas intéressante ; si des discours vrais sont possibles et féconds, des discours vrais portant sur la vérité le sont beaucoup moins.

c’est pourtant la question de la vérité comme telle qui est posée par la philosophie et la question de l’autonomie m’en paraît indissociable. Et…mais lis le texte avant que l’on rediscute.

- La modernité occidentale inaugure un certain rapport à la vérité, qui ne peut être simplement défini comme le « vrai » rapport à la vérité, ni comme le rapport « tyrannique » à la réalité. En gros, vouloir se rendre maîtres et possesseurs de la nature n’a en soi fait de nous ni des dieux ni des monstres, mais a eu certains effets cruciaux ; pour Casto, (re)création conjointe des projets d’autonomie et de maîtrise illimitée, pour Foucault invention de techniques sociales de production de vérité et passage d’un monde de la similarité à un monde de l’ordonnancement, pour Latour prolifération d’hybrides et rejet concomitant de l’idée d’hybridation etc. - L’imaginaire social historique, et parmi celui-ci le rapport à la vérité, n’est pas produit par des théoricienNEs spécialiséEs de l’imaginaire

(ils y contribuent !)

 : on ne peut simplement étudier les théories d’une époque pour la comprendre, et des éléments de tout ordre peuvent nous éclairer sur l’imaginaire d’une société : la primauté du rapport scientifique au langage est socialement construite et doit être explicitée dans ses causes comme dans ses effets.

Castoriadis écrit que la société « occidentale » a au sein du type de science qu’elle a défendu isolé le souci de l’ensidique en sorte que celui a tendu à s’autonomiser ; je crois que la primauté du rap scientifique au langage est une autre question.

- Sur la connaissance des textes, il est certain que je ne peux prétendre à la moindre expertise ; tu dis, J., que tes -ismes sont le résultat d’un processus long de travail et de pensée. J’imagine que tu serais d’accord pour dire que tu n’aurais pas du tout le même rapport à eux si on t’avait dit : « ne lis pas ces textes, c’est du relativisme, du postmodernisme etc ». C’est parce que tu les as lus que ton utilisation personnelle des -ismes a un sens. Déconseiller des livres qui appartiennent à ces catégories pose alors un gros problème : tu empêches les autres d’emprunter un chemin similaire au tien, et donc d’avoir une utilisation aussi intelligente et éclairée que la tienne de ces catégories.

sur ce point, je suis entièrement d’accord avec toi : je pense qu’il y a vraiment eu (pour moi en tout cas) une confusion : j’ai pensé qu’on ne retenait que les textes qui pouvaient être considérés comme compatibles avec la pensée de Castoriadis. Ce n’est peut-être pas le cas. Mais en dehors de cette liste, je pense qu’il faut toujours lire les auteurs avec lesquels on ne sait qu’après lecture si on les suit ou pas.

Il me semblerait plutôt intéressant de se demander, parmi tous ces bouquins relativistes ou postmodernistes, lesquels sont des pertes de temps, et lesquels sont, même par delà leurs erreurs, à notre avis fondamentaux pour le cheminement intellectuel des personnes à qui l’on s’adresse et qui veulent s’interroger sur le projet d’autonomie. Je ne pense pas que cette approche soit anti-castoriadienne ; je viens de lire un texte super bien sur Weber (sur un bouquin de Raynaud sur Weber) où Casto le démonte grave tout en conseillant à plusieurs reprises d’aller le lire et en en rappelant la centralité. Idem pour Marx, bien sûr.

toujours d’accord.

- Le problème est qu’on a choisi de ne mettre que des textes qui ne sont pas « en opposition avec Castoriadis ».

en fait je me demande si on a vraiment choisi…

J’ai du mal à comprendre ce que cela peut signifier, à vrai dire. Il me semble que nous pouvons nous faire collectivement confiance pour ne pas aimer et penser avec des auteurs radicalement incompatibles avec Casto, ou stupides. Je pensais que la brochure était destinée à rassembler des livres permettant de faire avancer le projet d’autonomie et c’est dans cette optique que j’ai fait mon choix de bouquins : en conseillant des textes qui traitent, à différents égards, de ce qu’est, pourraît être ou devenir, un sujet -individuel ou collectif- autonome, pas forcément en en présupposant la possibilité, au contraire : il me semble que mettre le doigt sur les contradictions, voire les impossibilités, d’un certain rapport à l’autonomie est une tâche fondamentale si on ne veut pas en rester au voeu pieux.

eh bien en lisant ces dernières lignes je pensais à un auteur qu’on n’a pas je crois cité : La Boétie, l’essai sur la servitude volontaire. ce qui évidemment n’est pas une façon très optimiste de conclure !


Pièces jointes de J.

Lecture de Castoriadis : Sujet et vérité dans le monde social-historique. Séminaires 1986-1987. Seuil. 2002.

NB : la mise en page de ce texte n’est pas régulière du fait que j’ai scanné certaines parties et que j’en ai tapé d’autres du fait que mes notes manuscrites sur le livre brouillaient le scannage.

autonomie=capacité de mettre en question l’institué, p150

La grande question du séminaire : « comment peut-il y avoir création social-historique de la vérité ? »229

NB :projet d’autonomie et projet de vérité indissociables.cf p 282-83(voir plus bas ici)

Extraits significatifs au regard des rapports du relativisme et de la notion de vérité :

« Nous devons donc postuler un type spécial d’institution sociale , qui amène les individus non pas à un simple conditionnement conforme à l’institution mais, par exemple, à investir psychiquement , indépendamment des réquisits de l’ordre social la vérité comme telle. »172 +cf 175(vérité/autonomie indissociables)

« si je me demande : « sous quelles conditions ce que vous dites là est vrai », je dois introduire dans les considérants non seulement l’idée qu’en tant que sujet effectif, j’investis la visée du vrai et je possède une certaine capacité de choisir , mais aussi la condition qu’il m’est possible d’accomplir cette visée du vrai au delà des circonstances sociales-historiques qui conditionnent cette visée. »p179

« ..institution ne visant pas à élever les sujets dans une vérité donnée, mais à les élever dans une visée de vérité. »181

(p215 noter une ref positive mais nuancée à Finkielkraut).

SÉMINAIRE DU 25 MARS 1987

« …..En outre, on le verra, ce qui a été dit de la subjectivité se transpose avec des déterminations nouvelles à la description de la société elle-même, lorsqu’elle commence à s’engager sur la voie de l’autonomie. Certes, dans le cas de la société, cela se détermine d’une autre façon, et nous permet de répondre à la question qui nous importe le plus : qu’est-ce que, et comment est, la société, et comment doit être la société historique pour qu’une question de la vérité puisse s’y faire jour ? Toute sociologie qui se borne à décrire une société comme elle est, et ce qu’elle appelle les « conditions de production de la connaissance », et à montrer que toute production de connaissance est déterminée par le processus de reproduction de la société telle qu’elle est, eh bien, une telle sociologie (Foucault, Bourdieu et tutti . quanti ... ) non pas scie la branche sur laquelle elle est assise mais l’a sciée depuis longtemps et est en train de tomber dans le vide. Car son discours se rend lui-même impossible, puisqu’elle croit montrer que tout discours est déterminé par les conditions de reproduction du statu quo social - donc, elle est elle-même déter- minée ainsi. »

JM : sur Foucault, voir aussi L’époque du conformisme généralisé, in Le monde morcelé, p 13-14. +sur le Post-modernisme : ibid, p21-22-23

« En parlant de la société, nous avons toujours cette double préoccupation : décrire, analyser, faire venir au jour le plus honnêtement, le plus scrupuleusement possible, ce qui est de la structure de la société, pour autant qu’on puisse le voir ; et, sans que cette deuxième question fausse la première, se demander comment doit être la société ou le social-historique pour que puisse surgir en son sein la question de la vérité, mais aussi celle de son propre être et de son sens.

Question préalable (sachant que c’est le concret qui nous enseigne, que ce sont les questions concrètes qui font sourdre le sens) : la définition même d’une société particulière, concrète - autrement dit : la question de la frontière. Nous parlons de la société, des institutions, première et secondes’, de l’articulation des institutions, de l’auto-institution de la société. Tout cela présuppose que nous tenons sous le regard une classe d’objets que sont les différentes sociétés, puisqu’il y a pluralité et diversité de sociétés, et que donc, comme aurait dit Joseph de Maistre, nous rencontrons des Français, des Italiens, des Russes, mais jamais nous ne rencontrons l’homme. »p211

voir les pages 212 et 213 qui me paraissent attester que Castoriadis en dépit de ce que pourrait laisser penser cette dernière phrase, s’oppose fermement à tout relativisme : idée que chaque société s’institue en créant du sens mais à partir d’un socle irréductible, objectif, « ce qui se présente »(p212)le pré ou quasi-organisé » (p 213). Castoriadis donne un ex :

« ce n’est pas la société qui crée les phases de la lune ni la régularité de son orbite mais c’est la société qui décide de faire de la lune ceci ou cela, de l’investir d’un certain sens. » p 213

Castoriadis insiste dans ces pages sur l’idée que c’est au niveau du sens que la société et ses institutions introduit des variantes, pas au niveau du « corrélat objectif » sur lequel va s’opérer cette mise en sens. Et si le sens va jusqu’à nier par exemple une réalité biologique, Castoriadis dit clairement qu’alors, on peut dire « c’est faux ». Pas « c’est faux pour nous occidentaux etc… », non « c’est absolument faux ». Dans « portée ontologique de l’histoire de la science », Castoriadis insiste : « la réalité, cela résiste ».(Domaines de l’homme,p422)

1.

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biblio sur vérité, p 244

« en règle générale, dans les sociétés humaines et dans l’histoire de l’humanité, la question de la vérité au sens fort du terme ne surgit pas. Il y a certes « vérité » dans toute société , il y a sans doute les termes vrai faux dans toutes les langues(…) impossible de concevoir une société dont la langue ne contiendrait pas la possibilité de dire à qq : « ce que tu dis là est faux ». »252 « Mais dans ce cas, il ne s’agit que de la conformité à un énoncé avec un référent canonique, de la fameuse adequatio. » p252

Séminaire du 29 avril 1987 (extraits)

« La question de la vérité ne peut surgir qu’à partir du moment où le questionnement porte aussi bien sur l’usage canonique des termes –usage qui commence à vaciller – que sur les règles de leur complexion ou combinaison et, surtout, sur les critères ultimes qui gouvernent les uns et les autres. Or cela est strictement équivalent à un questionnement portant sur l’institution de la société puisqu’il s’attaque au langage et aux représentations instituées comme aux significations qui s’incarnent dans les deux et les organisent. C’est, si l’on veut poursuivre la métaphore employée plus haut, un questionnement qui porte sur la facture et la fabrication des lampes utilisées, la nature et les propriétés de la lumière qu’elles dispensent, ses limitations et ce qu’elle impose à ce qui est « vu » - enfin sur les procédures et les possibilités de comparaison et de discussion des différentes « vues » des voyageurs nocturnes.

Or nous savons - encore une fois, c’est la moitié du parcours - que cela n’émerge dans l’histoire qu’à un moment donné et pour certaines sociétés seulement. L’autre moitié du parcours nous apprend que, à partir du moment où ce questionnement émerge – et ce « à partir du moment où » il faut le mettre entre guillemets -, il est pour nous valide de façon permanente et universelle ; autrement dit, il vaut de droit et en droit n’importe quand et n’importe où . De sorte que contrairement à beaucoup de choses dites depuis quarante ans en ethnologie , et pour prendre l’exemple le plus gros , il y a comme il y en avait vers la fin du siècle dernier, des tribus australiennes qui pensent que les femmes de la tribu ne sont pas fécondées ar le coit mais en marchant dans un sentier spécial où un esprit les pénètre, le coit avec l’homme étant nécessaire pour des raisons tout à fait différentes, nous ne pouvons pas dire : « cette tribu pense cela et nous nous pensons autre chose », et en rester là. Or, en fait, cela se pratique très couramment sous des formes en apparence plus subtiles et sur des sujets plus « délicats » : croyances ultimes,« Valeurs », etc. Cette attitude est à la fois stupide et lâche. Cette tribu pensait cette chose, cela ne signifie pas que les hommes et les femmes qui la composent sont débiles ou inférieurs mais que telle est leur construction du monde ; il faut en tenir compte pour comprendre leur vie et non seulement leur vie mais beaucoup de choses concernant d’autres tribus tout à fait différentes. Mais, même sur un bûcher, nous continurions à dire que pour_qu’une femme fasse un enfant, il faut dans tous les cas qu’elle soit fécondée par le sperme d’un homme. Toutes les tribus du monde croiraient-elles le contraire , ce serait faux.

L’exigence de la validité permanente et universelle ne surgit donc pas seulement à un niveau « transcendantal », de justification et de validation à l’égard de tous, mais possède, comporte une dimension pratique, réelle, qui affecte la réalité aussi, potentiellement une dimension politique puisque la question apparaît aussitôt : comment peut-on agir, se comporter vis à vis de gens dont la vision du monde est à ce point différente de la nôtre ? Pour pouvoir agir à leur égard, il faut tenir compte de leur vision du monde, de l’écart, de la différence avec la nôtre, mais aussi savoir que nous ne pouvons pas prétendre sans hypocrisie ou insincèrité que les deux visions sont équivalentes, et que nous pensons que la nôtre est vraie, ou du moins , moins fausse – et trouver , quand même, un moyen pour arriver à un certain rapport avec eux.

Dire le contraire signifierait par exemple que régulièrement les médecins occidentaux qui visitent une tribu tout à fait primitive, il en existe encore beaucoup, donnent un médicament - se trompant peut-être à plusieurs titres, mais là n’est pas pour l’instant la question - parce qu’ils pensent que cet enfant-là va, autrement, mourir et expliquent à la mère et au père de l’enfant que le grand chamane des hommes blancs, après avoir passé trois nuits au ciel, est revenu avec ces petits cachets qui feront beaucoup de bien à l’enfant. Cela encore, on peut l’accepter ; même chez nous, on raconte aux malades des histoires « pour leur bien ». Mais cela signifie beaucoup plus : si ce médecin blanc veut former un médecin ou un infirmier appartenant à cette tribu, il devra inventer tout un double langage, dans lequel tous les gestes considérés par la médecine occidentale comme efficaces auront une traduction mythico-magique correspondant aux croyances de la tribu considérée. Ce faisant, non seulement il sera malhonnête intellectuellement mais il aura réglé, résolu dans un sens bien déterminé une question politique énorme : il aura décidé que ces sauvages sont indignes de la médecine, de la science et de l’interrogation occidentales, et qu’il faut les maintenir dans leur univers mythico-magique en empêchant la formation de « vrais » médecins et en fortifiant, par quelques cachets, les pouvoirs surnaturels de leurs sorciers.

À partir du moment où il émerge, ce questionnement ne connaît plus de limites. Nous l’identifions en fait avec la philosophie et son rejeton, à savoir la science gréco-occidentale. Nous sommes alors conduits directement à une nouvelle série de questions, les questions philosophiques, mais considérées maintenant à partir du point de vue que nous avons conquis. Ces questions ne concernent pas ce qu’on appelait, dans le langage philosophique hérité, les conditions de possibilité. On se rappellera que dans la tradition kantienne et néokantienne, la formulation typique d’une question est, par exemple : comment une expérience en général est-elle possible ? »(p255-6-7)

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Séminaire du 6 mai 1987

…« cette question de vérité ne porte pas seulement sur la connaissance(…) Elle va très au-delà. Elle ouvre aussi sur, est présupposée par, va de pair avec l’émergence dans ces mêmes sociétés de questions comme celle de la justice, par exemple (je montrerai ailleurs l’intime solidarité de ces deux questions), ou celle de la beauté.

Nous arrivons ainsi dans une sorte de mer de la Sonde, une multiplicité de détroits, de passages, de terres, d’îles et d’écueils,visibles ou invisibles. Et nous décidons de nous engager dans un des détroits, celui de la vérité. Pourquoi ? La question de la destruction ontologique en tant qu’elle porte sur les formes sociales et en fait, pour nous, sur cette forme que nous croyons ou voulons connaître :la société contemporaine, devient question de la destitution, de la décomposition possible de cette société - question donc de la fin possible du projet d’autonomie et de la fin possible du projet de vérité, c’est à dire question de la mort possible de la vérité en tant que vérité historique. Nous ne disons rien d’autre quand nous posons la question de la destruction ontologique comme une question qui nous concerne : la société contemporaine suit-elle un cours de décomposition ? Ce cours risque-t-il d’effacer, de détruire le projet d’autonomie qui a surgi, à deux reprises, dans l’histoire des sociétés gréco-occidentales et, par là même, de détruire le projet de vérité ?

Vérité : partout où il y a société et langage. se pose effectivement toujours la question de la correction, de la conformité des énoncés relativement à un état réel(cf sem du 29 avril87)- mais non pas de la vérité en tant que mouvement qui vise à aller au delà de l’institution donnée de la société, donc au delà de l’institution donnée des croyances , des représentations et même des règles des d’inférence et des postulats ultimes du discours dans la société considérée. C’est ce mouvement-là que je qualifie de projet de vérité. C’est en ce sens-là qu’il peut être question d’une mort possible la vérité - pas définitive, peut-être, on n’en sait rien, mais certes possible puisqu’il n’est nullement absurde d’envisager une société soit du type 1984, pour parler vite, soit du type qui commence à être glorifié par certains post-modernes et déconstructionnistes : une société bureau-media-cratique où, sans « totalitarisme » formel, il y a une imposition molle de vues qui ne prétendent même pas être des vérités officielles _ mais où la question se trouve dissoute dans une indifférence généralisée. [Cf. le livre d’un heideggérien italien, Gianni Vattimo, La Fin de la modernité, sous-titré « Nihilisme et herméneutique dans la culture post-moderne », Paris, Éditions du Seuil, 1987, « L’ordre philosophique ».] lequel envisage joyeusement, et pensant que cela est en accord avec le destin de l’être, que nous arrivions à une société de « vérité molle », de pensiero debole, comme il dit où tout circule sous forme de message médiatique, où il n’y a plus de critères stricts et rigoureux et où nous sommes amenés à envisager autre chose comme sujet, comme discours, comme vérité, etc. Des auteurs de science-fiction - et même d’autres ’ comme william Burroughs - avaient déjà envisagé des univers de ce type et y avaient vu la destinée du monde contemporain. Mais il était réservé à un auteur d’obédience nietzschéo-heideggérienne - sacralisant lui aussi la réalité contemporaine dans ses tendances les plus négatives - de travestir l’éventuel destin tragique du projet de vérité en farce où la mystification médiatique est appelée « vérité molle ». C’est dans ce contexte, et poussés par ces développements, que nous avons été amenés à considérer la question de la fin de la philosophie, notamment chez Heidegger, et à dire que si l’on parle de « fin de la philosophie », il faut avoir le courage de parler de la fin du projet de liberté ou d’autonomie. Il n’est évidemment pas accidentel que dans son infantilisme politique, , Heidegger n’ait jamais pu faire cette connexion - qui, du reste, probablement, ne l’intéressait pas. Es gibt Ordnung. »p283

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Pensée et vérité

« On a déjà vu plus haut (séminaire du 29 avril 1987) en quoi pensée et liberté, philosophie et autonomie, ouverture de la question ou de l’interrogation illimitée et position explicite effective de la question politique, avaient partie liée, ou plutôt étaient deux faces du même. On a aussi dit que le propre de la société dans laquelle a surgi le projet d’autonomie était de refuser que nous soit dictée une réponse à la question : « que devons-nous penser ? », dans le sens le plus simple du terme « devoir ». On a dit, enfin, que, formellement, pour que cette question soit posée, il faut que celui qui la pose soit libre - libre à l’égard de l’institution donnée de la société, libre à l’égard de l’ontologie implicite dans cette institution -, mais qu’en vérité cette liberté est créée et ne peut qu’être créée dans et par la position de la question elle-même.

La liberté est créée dans et par l’activité de pensée, même si celle ci ne se présente pas comme philosophie explicite. » p281-2-3

Sur le choix du terme « convenance » plutôt qu’ adéquation :

« Je dis convenance en opposition consciente et délibérée avec l’idée d’adéquation, posée par les conceptions héritées. Le rapport entre le contenu de la pensée et son objet, nous ne pouvons l’appeler adéquation ni reflet. Nous avons cependant besoin d’un terme, et plus même d’une idée, qui qualifie la différence entre un tel rapport tel qu’il est cherché et obtenu, et ce même rapport tel qu’il serait s’il échouait. C’est ce que signifie convenance. La pensée convient, ou pas, à ce qui est à penser, à l’objet de la pensée. Elle ne lui est pas « conforme » - cela ne veut rien dire - ni adéquate. Nous ne pouvons pas ici nous passer d’une distinction, d’une division essentielle, qui finalement correspond à la division entre le vrai et le faux. Division selon des normes posées par la pensée elle-même - nous y reviendrons.

Quelle que soit l’institution d’une société, il y a langage, donc possibilité d’une duplication - possibilité donc d’énoncés faux au sens courant du terme, d’énoncés incorrects. Il y a ainsi nécessité pour la société, aussi primitive, aussi hétéronome soit-elle, d’établir une distinction entre les énoncés incorrects et les énoncés corrects – ou adéquats, ici le terme convient parfaitement - selon les dimensions déjà évoquées (usages des termes du langage et référents cano- niques, usages métaphoriques permis ou permissibles*, règles d’inférence ; le tout appuyé sur des postulats ultimes ; cf. plus haut). Et tout cela, bien qu’emporté par l’institution même du langage, ne va nullement de soi. Une société hétéronome établit des règles de correction des énoncés, mais qu’est-ce qui, dans ces règles, ne dépend pas de la société en question, et où cela s’arrête-t-il ? Passons à la limite, prenons le cas de la société de 1984 : quels sont les présupposés permettant à Winston Smith de faire, au ministère de la Vérité,le travail qu’il fait ? Quelqu’un ne doit-il pas connaître « vraiment »ce qu’il faut cacher ? Ou encore celui de la société russe contemporaine……. » p285-6-7-

*. [Cf. ce qui est dit sur le « legein » dans le chapitre V de L’institution ... ]

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La question de la vérité comme telle.

« nous nous tournons maintenant vers la question de la vérité, indépendamment , si l’on peut dire, de son enracinement social-historique et de son destin.(…) p303

« [la structure triadique de la vérité] est immanente à la chose elle-même et immanente à l’institution du social, elle couvre déjà la notion de vérité comme simple correction (ou adéquation), telle qu’on la rencontrera dans n’importe quelle société, par exemple archaïque. Nous en avons déjà suffisamment parlé mais il est important de se pénétrer de cette idée.

« Une société de chasseurs-collecteurs ne peut exister sans une_certaine idée de la vérité ; et, réciproquement, la possibilité de cette idée surgit avec le langage lui-même - et ici encore apparaît une distinction avec la pure animalité. Un animal, en règle générale, ne se trompe pas, ne trébuche pas. L’homme trébuche - et tombe ; il se trompe et il ment. Adam, dès le départ, nomme - et ment. Ce qui nous importe à cet égard : déjà dans la tribu archaïque ,1a distinction correct-incorrect pose une structure triadique. Premier terme : ce que pense, voit ou dit celui dont on discute les dires pour savoir s’il est dans le vrai ou le faux. Puis un « état des choses » qui est ce qu’il est, avec un présupposé toujours tacitement présent, ici comme dans les théories philosophiques qui parlent d’adéquation, à savoir qu’à cet « état des choses » on a accès indépendamment de ce qu’en dit celui dont on juge les dires - ce qui est trivialement exact s’il s’agit de savoir si ses dires sont vrais d’après les normes de la tribu, mais qui cesse immédiatement d’avoir un sens s’il s’agit de savoir si ce que dit la tribu est vrai. Évidemment, cette dernière question en règle générale ne se pose pas pour la tribu et ne peut pas être posée par elle. C’est la question de la clôture - on y reviendra. Enfin, troisième terme, un rapport entre les deux premiers : ce qui est dit et l’« état des choses » ou ce qu’il en est « vraiment ». Le cercle vicieux qui aussitôt devient apparent avec ce dernier terme est court-circuité par l’institution de la société, à la fois langage, règles de son utilisation, etc., et dressage, fabrication des individus conformes à ce que requiert la validité sociale perpétuelle de l’institution. La « vérité » est garantie par l’assentiment social infracturable.

La naissance de la philosophie entraîne évidemment ipso facto une fracture dans cet assentiment social. Mais aussi ce modèle triadique persiste en se transformant. Ainsi, en Grèce et dès les premiers philosophes (même Homère - cf. Detienne - et aussi Hésiode, etc.), il s’agit de legein ta eonta, de dire « ce qui est », les étants, les choses qui sont (qui « sont vraiment », etc.). Le philosophe, l’énonçant en général est quelqu’un qui pense quelque chose, l’énonce et prétend se référer à un « état de chose » qui est tel qu’il le dit, et qui se fait fort, en général , de convaincre les autres, de les forcer à admettre que, de leur montrer ou démontrer, selon les termes que Platon utilise à propos de Socrate(…) »304-5

(3. Marcel Detienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, 1967 ; rééd. La Découverte, 1999.)

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« les idées, les représentations (…)ont de la valeur ou ils n’en ont pas ; ils sont « vrais » ou ils sont « faux ». [Dichotomie qui par ailleurs pose des problèmes.] Donc, dans l’activité de pensée, il y a à la fois création de résultats, création de méthodes et création de critères - sans que, finalement, l’on puisse prétendre s’arrêter et dire : voilà le critère des critères, ce n’est que d’après ce qui est posé par ce métacritère ou cette métanorme que l’on peut décider du vrai.

Mais nous pouvons aller plus loin. D’un côté, il y a dans le cas général un extérieur de la pensée - et l’on peut dire que la pensée vise son extérieur, vise autre chose qu’elle-même. Chez Husserl, cela prend le nom d’intentionnalité : toute conscience est conscience de... Extérieur ne veut pas dire forcément un « objet » - la fameuse table, un caillou, etc. cela peut tout aussi bien être l’humeur des Florentins du Quattrocento au crépuscule - objet de pensée aussi digne que n’importe quel autre - ou les espaces vectoriels topologiques, etc. Extérieur veut dire : autre chose que l’activité de pensée. . Et alors même que la pensée se donne comme objet elle-même - c’est-à-dire lorsque l’activité de pensee essaie de considérer l’activité de pensée , elle devient à elle-même son propre extérieur. La pensée considérée par l’activité de pensée est en un sens objectivée - terme certes à utiliser avec précaution mais signifiant qu’elle n’estplus cette activité elle-même. La pensée n’est pas, pour parler métaphoriquement, une activité autoérotique : elle ne peut pas se boucle sur elle-même et se considérer elle-même vraiment comme activité de pensée. À partir du moment où elle se considère comme activité de pensée, elle s’est d’une certaine façon objectivée - elle est devenue autre que l’activité elle-même. Elle est devenue l’activité de pensée considérée par la pensée. Cela veut dire aussi qu’il n’y a pas de transparence de la pensée pour elle-même. Il n’y a pas d’aséité de la pensée’ : la pensée ne se crée pas elle-même dans une transparence pour elle-même et en étant, comme aurait dit Hegel, « complètement auprès d’elle-même » (bei sich), sans reste. Si l’on veut mais nous verrons par la suite que l’expression est critiquable -,la pensée est pour elle-même phénomène. Métaphore peut-être utile : le regard crée le phénomène comme phénomène. Le fait qu’il se dirige vers... fait que quelque chose surgit qui est phénomène et ne peut être que phénomène. Pourquoi ? Nous récupérons ici des éléments importants discutés lors de l’analyse du pour-soi en général et de la subjectivité plus particulièrement. »p306

4. [Cf. la préface des Carrefours..., p. 18-20, <reed p- 20 -22:s]

…. . « On voit aussitôt que ce mouvement est interminable,puisque toute remise en question des formes données de la pensée- à moins qu’elle ne soit cri inarticulé, borborygme, mains levées auciel, bouche cousue des sceptiques extrêmes et conséquents - nepeut être opérée que par l’instauration de nouvelles formes propres.Pas plus qu’il n’y a de la pensée transparente à elle-même, il n’y a jamais de la pensée en général, déliée de tout ; elle est constitutionde certaines formes pour se donner un certain objet. Ce qui se produit lorsque nous pouvons parler de vérité est que les dépassements des formes données de pensée et les dépassements des particularités, des délimitations, de la « plage » si l’on ne veut pas parler d’« objet », font percevoir quelque chose de plus relatif à l’extérieur de la pensée que, simplement, le remplacement de certaines formes de pensée par d’autres. Nous pouvons relier cela à une proposition d’un autre type, l’axiome d’indécidabilité ultime des origines, affirmant qu’il est impossible de distinguer d’une manière définitive ce qui vient de celui qui pense (observe, etc.) et ce qui vient de ce qui est pensé (observé, etc.). Tout ce que nous venons de dire a, en effet, une contrepartie sur laquelle nous avons longuement et à plusieurs reprises insisté : aucucune phénoménalisation de ce qui est ne serait possible s’il n’était pas phénoménalisable, aucune catégorisation s’il n’était pas catégoriasable, aucune séparation s’il n’était séparable ,et ainsi de suite. Autrement dit, tout ce que nous analysons renvoie à des propriétés par ailleurs indescriptibles mais qui ontaffairc avec ce qui est, indépendamment du pour-soi ou de la pensée. Mais chaque fois le cercle s’élargit, et nous pouvons voir plus loin que telle chose est corrélée aux formes de pensée, aux catégories ou à la structure de la sensorialité, ou que telle autre chose – tel aspect, tel élément – est effectivement etayé sur qc de relativement indépendant de l’observateur ou du penseur ; et, en définitive nous ne pouvons jamais séparer sans reste ce qui vient de l’un et ce qui vient de l’autre. Or le mouvement de la vérité, on le détermine aussi par rapport à ce principe d’indécidabilité ultime. Le mouvement de la vérité, dans l’histoire de la pensée, est la tentative d’éprouver le plus possible les limites de ce principe, de reculer les murs, de distendre la clôture pour voir ce qui, dans ce que l’on pense, vient de l’activité, de pensée elle-même et ce qui vient de son extérieur.

(12. [Cela est contourné dans les argumentations de Sein und Air liant la vérité au Dasein, qui ne sont finalement que verbales.]

13. [Le « jugement réfléchissant » de Kant est un moment de ce parcours. À revoir )

Le mouvement de la vérité est l’effort de dépasser la phénoménalité, et la vérité est l’ébranlement de la phénoménalité qui en est la résonnance. Il est utile de noter que les formes répandues du relativisme contemporain (y compris nietzschéo-heideggérianisme français) impliquent entre autre , la méconnaissance de ce principe – ce qui fait que certains auteurs (par ex Foucault) croient avoir terminé leur travail lorsqu’ils ont « montrent » que telles formes de pensée sont liées à telle époque (ce qu’on savait depuis longtemps) alors que les questions jumelles –comment ces formes ont –elles pu avoir une effectivité historiqe autre que celle d’un délire collectif ?Que devons nous penser maintenant de cette corrélation a été (bien ou mal) faite ? – ne sont même pas soupçonnées. » 315-16-17

P460, Escobar et V notent quelques textes de Castoriadis où apparaît « ce qui différencie radicalement la position de Castoriadis de toutes les formes de relativisme « post-moderne »,…A voir.


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