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dimanche 9 août 2009
par  LieuxCommuns

C. Castoriadis et l’anarchisme

Texte de J.L. Prat disponible ici : http://www.journaldumauss.net/spip.... On lira dans un même mouvement le commentaire d’A. Vernet du 4 octobre, qui corrige l’auteur sur beaucoup de points cruciaux qui forment deux orientations politiques radicalement incompatibles, et, de ce fait, exprime (…)

En réponse à...

dimanche 4 octobre 2009 à 18h21

Merci Jean-Louis pour la transmission de ton article, dont le contenu m’a toutefois assez étonnée – par rapport au titre annoncé.

Que Castoriadis, comme beaucoup d’arnarchistes d’ailleurs sinon la plupart, n’épargne pas certains courants ou prises de position anarchistes de sa critique, voilà qui est sain. Toutefois ses critiques ne prennent jamais pour cible “l’anarchisme”, mais, à chaque fois, un courant ou une position précis, qui ne le constituent pas à eux seuls.

Les trois critiques fondamentales qu’il porte, de façon récurrente, visent trois cibles :

· le courant individualiste, dont Stirner (qui refusait soit dit en passant l’appellation « anarchiste » !) fut le principal inspirateur, au motif d’une part que l’individu est une création sociale-historique et d’autre part que cette institution masque ce qui est à l’oeuvre, et tout à la fois l’enjeu : la psyché et l’imagination radicale (tout autant pourrait-on dire que Castoriadis fustige implicitement l’anarcho-capitalisme et le libertarisme américains qui prétendent rendre à l’individu tous les droits usurpés par l’État, y compris les fonctions régaliennes - défense, police, justice) dans une “autonomie” exaltant la propriété privée ;

· le courant “spontanéiste”, avec Proudhon (l’abolition de l’Etat censée suffire à rétablir un “ordre naturel”), qu’il associe toujours à “l’utopie marxiste” qui postule de même un âge d’or post-révolutionnaire ;

· l’impasse anarcho-syndicale, ou plus exactement l’insurmontable contradiction des deux termes dans la pratique effective du travail. Aucune de ses critiques ne vise la déclaration de principe de l’anarchie : refus radical de toute autorité dominatrice et les institutions qui en découlent, considérées comme illégitimes, visant à régir la société, et promotion de l’autonomie et de l’autogestion dans l’organisation sociale. Son propos s’y trouve, au contraire, en adéquation.

Il y a, dans l’article, un glissement bien commode du pouvoir à l’Etat. Sous prétexte “qu’il ne peut pas y avoir de société sans pouvoir” (ce qu’aucun anarchiste ne conteste, distinguant ici entre “pouvoir de”, légitime et autonome, et “pouvoir sur”, hiérarchique et récusé), deux exemples sont donnés de l’incontournabilité de l’Etat, posé comme pacificateur (!) face à une “société sans Etat” forcément violente et guerrière : celui des anarchistes espagnols en 36 et celui des “chefferies” indiennes décrites par Clastres :

. Les anarchistes espagnols sont ici uniquement “appréciés” du point de vue de leur participation au gouvernement autonome de soutien au Front populaire de 36, en pleine guerre civile – passant sous silence le fait que la Seconde République espagnole avait été instaurée en 1930 sans la participation d’aucun anarchiste, dont le soutien d’ailleurs avait été à l’époque plutôt distant (Ortega lance à l’époque : “Espagnols ! Votre Etat n’est plus ! Reconstruisez-le !”) ; c’est seulement avec la menace de la contre-révolution que Durruti appellera à voter (!) aux élections de février 36 et dans le contexte, ensuite, du coup d’Etat de juillet que des anarchistes intègreront le gouvernement de résistance républicaine ;

. La “violence sociale” mise en exergue dans les sociétés indiennes “sans Etat” décrites par Clastres n’a aucun caractère pathogène, elle est instituée comme exercice permanent de lutte contre toute tentation hégémonique, contribue à la formation sociale et culturelle de l’individu et remplit une fonction auto-limitative à l’égard du pouvoir : l’acéphalité de l’organisation sociale n’est pas vécue comme un tapis de roses, mais au contraire bien posée comme devant toujours être conquise, et défendue, contre toute dérive hiérarchique, contre l’hubris.

Ici, conformément au préjugé tenace de l’opinion publique et de l’Etat réunis, la violence est exclusivement posée du côté de la liberté, de l’autonomie, de l’acéphalité (ou de l’anarchie si on veut), comme si “l’Etat” ne générait aucune violence et ne se maintenait pas par elle... Pour en arriver à poser cette affirmation ahurissante selon laquelle l’Etat ne s’oppose pas à l’autonomie...

Or, à la fin de sa vie, Castoriadis écrit dans Figures du pensable, p. 114 : “Pouvoir ne veut pas dire Etat. L’Etat est une instance de pouvoir séparée de la société, constituée en appareil hiérarchique et bureaucratique, qui fait face à la société et la domine (même s’il ne peut pas rester imperméable à son influence). Un tel Etat est incompatible avec une société démocratique. Les quelques fonctions indispensables que remplit l’Etat peuvent et doivent être restituées à la communauté politique.” (lignes écrites entre Nov. 1996 et Août 1997)

On ne pourra pas, en outre, lire ici un accord avec le libertarisme américain, car Castoriadis insiste sur la communauté politique (c’est-à-dire la communauté des citoyens et non celle des individus : “citoyen” qualifie ici ce qu’on pourrait appeler l’attribut de la responsabilité politique de chaque individu socialisé).

Mais à te lire, Jean-Louis, non seulement l’Etat devient garant de l’autonomie, mais Castoriadis celui de la social-démocratie !

Instrumentaliser ensemble, en les opposant, Castoriadis et “l’anarchisme” n’avait qu’un seul but : justifier une visée légitimiste et réformiste de l’Etat social démocrate (faut-il vraiment croire que des primaires au PS et les “votations” postières du NPA ouvrent la marche courageuse vers un grand bond en avant lorsque ces singeries purement référendaires s’épanouissent à l’ombre de l’autoritarisme européen ?) Comme à chaque fois que Castoriadis est réduit à l’outil politicien, sont exclues de son propos les dimensions psychanalytiques et économiques essentielles à celui-ci, et sans lesquelles ce propos retombe, comme un soufflé trop cuit, sur la caution du statu quo politicard caractérisant les institutions actuelles.

On ne voit pas que l’Etat “social-démocrate” entraînerait de fait le moindre progrès de l’autonomie psychique et politique des individus : “Une quantité énorme d’individus sont en fait hétéronomes, ils ne jugent que selon les conventions et “l’opinion publique” (Figures du pensable, p. 97).

On ne le voit pas non plus sciant la branche sur laquelle il est assis : “La démocratie suppose l’égalité dans le partage du pouvoir et dans les possibilités de participation au processus de prise de décision politique. Cela est naturellement impossible lorsque des individus, des groupes ou des bureaucraties managériales contrôlent les centres d’un énorme pouvoir économique qui, en particulier dans les conditions modernes, se traduit immédiatement en pouvoir politique.” (Ibid, p. 142) Seule, une remise en question radicale des trois plans (institutions secondes) de l’institution sociale : politique, économique et psycho/symbolique, engageant simultanément la sphère individuelle et l’ensemble collectif peut laisser espérer “oser vouloir un avenir – pas n’importe lequel avenir, pas un programme arrêté, mais ce déroulement toujours imprévisible et toujours créateur, au façonnement duquel nous pouvons prendre part, par le travail et la lutte, pour et contre” (Ibid p. 144)

Evoquer enfin le spectre d’un “retour à l’indistinction primitive” face à l’abolition de l’Etat (comme si l’Etat était la source de “distinction civilisatrice” !) est un non-sens anthropologique. Cette alternative “terrorisante”, irrationnelle, hétéronome, est une construction réactionnaire par excellence. J’en comprends l’angoisse : c’est précisément elle qui signe le caractère totalitaire du système qui nous interdit ainsi d’en penser l’issue. Mais il faut résister à cela, résister à réifier l’autre et à se réifier soi face à la peur.

Par ailleurs, ce n’est pas dans ses écrits sur la Grèce que Castoriadis donne des pistes pour l’avenir, mais dans Figures du pensable : ce titre devrait naturellement évoquer qu’il est bien question de ce qui est pensable pour le futur, et que Castoriadis suggère, en prenant hautement soin de ne jamais verser dans la prescription, la modélisation. Je ne sache pas que la référence à “la Grèce” constituerait autre chose, d’ailleurs, qu’un retour, une récession. Castoriadis est là-dessus clair, qui déclare qu’Athènes n’est pas un modèle, mais qu’elle fut un germe. Un germe d’autocréation. Il s’agit d’oser vouloir relancer ce geste, collectif et individuel, et non de plaquer sur l’avenir des formes “néo-grecques”, ou une programmatique. Comme il le dit à propos de l’autolimitation nécessaire du pouvoir en démocratie : “Les limites ne sont jamais tracées d’avance, l’hubris est toujours possible. [...] Pouvoir qui n’accepte pas d’être limité de l’extérieur. [...] Mais aussi pouvoir instituant. La démocratie est un régime qui s’auto-institue explicitement de manière permanente. Cela ne signifie pas qu’elle change de Constitution tous les matins [...] mais qu’elle a pris toutes les dispositions nécessaires, en droit et en fait, pour pouvoir changer ses institutions sans guerre civile, sans violence, sans que le sang coule. Bien entendu, personne ne peut garantir que la violence sera à jamais exilée de l’histoire humaine si la démocratie est instaurée.[...] Que signifie l’égalité dans le contexte d’une société autonome, autogouvernée et auto-instituée ? Quel est le passage logique et philosophique de l’une (autonomie) à l’autre (égalité) ? D’abord, personne ne peut vouloir raisonnablement l’autonomie pour lui-même sans la vouloir pour tous. Mais c’est aussi que, du moment où il y a collectivité et que cette collectivité ne peut vivre que sous des lois, personne n’est effectivement autonome (libre) s’il n’a pas la possibilité effective de participer à la détermination de ces lois. Liberté et égalité s’exigent l’une de l’autre.[...] Vivre en société n’est pas un attribut adventice de l’être humain, c’est être humain.” (p. 151 de Figures...)

Il ne s’agit pas de reproduire la Grèce, il s’agit bien d’inventer “l’ici et maintenant” pour demain.

Anne Vernet, 4 Octobre 2009

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