La révolution en question

Claude Orsoni (1984)
jeudi 2 juillet 2009
par  LieuxCommuns

La crise de l’idée de révolution est un fait admis. Il n’est besoin, pour s’en rendre compte, que de constater l’absence quasi totale de ce thème dans les publications libertaires, par exemple. Ces dernières années, seuls quelques intellectuels ont tenté d’aborder le problème, sous des perspectives diverses 1[1]. Il subsiste dans les milieux qu’on appellera « radicaux » (qu’ils soient libertaires, marxistes, marxistes-libertaires ou quoi que ce soit) une sorte de tabou sur le sujet : comme si le simple fait de l’évoquer en tant que problème témoignait déjà d’un ralliement à l’ordre établi, d’un reniement des idéaux révolutionnaires... A moins tout simplement qu’il n’effraie par ses dimensions ! Nous ne nous proposerons pas d’en faire une étude systématique, mais de formuler à toutes fins utiles quelques constats et hypothèses concernant ce problème.

I - La révolution en crise

Entendons par révolution la transformation rapide et profonde des rapports et fonctionnements sociaux les plus fondamentaux, en particulier ceux qui dessinent la structure économique et politique de la société, transformation censée apporter à terme la disparition de l’exploitation et de l’oppression, l’égalité, la liberté, et la justice 2[2].

Les sociétés occidentales (c’est de celles-ci que nous parlerons en premier lieu) ont connu et contenu autrefois des mouvements, tentatives, organisations et militants révolutionnaires, c’est-à-dire qui se proposaient de favoriser, de susciter, de hâter une telle révolution, d’y prendre part ou de l’organiser, de manières très diverses. Il faudrait aujourd’hui, dans ces mêmes sociétés, beaucoup de patience pour découvrir quelque chose d’équivalent, ou même qui rappelle simplement ces époques antérieures. Il existe des mouvements sociaux, des organisations politiques qui se disent ouvrières et révolutionnaires, il y a des militants ou des individus qui se considèrent comme tels. Est-il nécessaire de rappeler que les organisations politiques ont toutes en commun au moins ceci, que leur réalité ne coïncide pas et de loin avec la définition qu’elles donnent d’elles-mêmes ? Faut-il évoquer la « crise du militantisme » ? Il suffira de souligner que la crise de l’idée de révolution s’exprime avant tout dans la pratique : les comportements individuels ou collectifs qui seraient orientés ou déterminés par la perspective d’une révolution prochaine, probable ou seulement possible sont devenus rarissimes ; ce n’était pas le cas à d’autres époques, quelle qu’ait été la nature des illusions d’alors. Bref, dans ces sociétés, l’idée de révolution n’a plus de présence pratique dans la période actuelle.

Si elle ne sert plus comme auparavant à orienter ou organiser les conduites en vue d’une prochaine concrétisation, s’il est vrai que quelque chose a changé à ce niveau, conserve-t-elle un sens, joue-t-elle encore un rôle dans la réflexion et lequel ? Elle sert de référence, de code, elle permet un marquage, une discrimination symboliques, elle anime aussi, par son intentionnalité, la critique vigilante de l’ordre existant et de ses aménagements présents et futurs ; elle rappelle qu’il y eut des moments ou des convictions collectives ont contribué, à travers les mouvements qui s’en inspiraient, à transformer les sociétés, bien que dans la plus grande confusion et sans atteindre leurs objectifs initiaux, laissant ainsi entendre que de tels moments peuvent revenir et ont en tout cas laissé des traces. Elle permet de répartir les idéaux, les idéologies, et leurs partisans, en camps bien distincts et suscite enfin cette surenchère aussi. grotesque que répandue qui fait qu’on rencontre toujours plus révolutionnaire que soi... Le rôle essentiel que conserve l’idée de révolution est sans doute celui d’orienter et de stimuler la critique des idéologies réformistes. Cette critique naît du constat que les réformes (conquêtes économiques, politiques, culturelles) qui sont devenues le leitmotiv des pouvoirs de droite ou de gauche se révèlent incapables d’amener une transformation réelle et profonde des rapports sociaux, et même le plus souvent de réaliser leurs propres objectifs, aussi limités soient-ils ; encore moins d’aboutir, même à terme, à un renversement de la domination de classe. S’il est donc avéré que les réformes contribuent le plus souvent à renforcer les dispositifs du pouvoir en les rénovant, la lutte contre l’ordre établi doit poser la nécessité d’une transformation révolutionnaire, c’est-à-dire globale, radicale, et irréversible. Une telle conviction a longtemps puisé sa force dans la représentation d’une nécessité « historique » de la révolution, d’une loi de l’histoire qui rendrait de plus en plus impératif, évident et réalisable le remplacement d’un ordre, ou plutôt d’un désordre social, par un ordre véritable, rationnel. Représentation qui se traduisait dans l’attente confiante (passive ou active) de l’aggravation des crises économiques, du progrès d’une authentique conscience de classe, et du développement d’organisations révolutionnaires, construites ou reconstruites de façon à prévenir et surmonter les dégénérescences bureaucratiques ; et dans l’ensemble, elle se traduisait par la confiance dans le développement du mouvement ouvrier et dans sa capacité à intégrer les expériences historiques dans des formes nouvelles.

Or, la crise des convictions révolutionnaires s’exprime entre autres dans le déclin manifeste de ce genre de confiance, et par un scepticisme de plus en plus marqué, y compris parmi les plus exploités, quant à la perspective de voir les idéaux révolutionnaires (autoritaires ou anti-autoritaires) se diffuser avec une ampleur et une force croissantes. Ce qui subsiste d’une telle confiance ne relève plus, en tout cas, d’aucune certitude « scientifique », si tant est que ce fut jamais le cas. C’était pourtant un tel soubassement scientifique (tiré de l’économie ou de l’histoire) qui donnait une solidité apparente à l’optique progressiste et rationaliste enfouie au cœur de toutes les doctrines révolutionnaires, quelles qu’elles soient ; cette vision du progrès (des sociétés vers une rationalité de plus en plus grande), vision qui caractérise les socialismes du XIXème siècle et remonte au-delà à la Philosophie des Lumières, justifiait l’articulation des théories révolutionnaires et d’une optique « pédagogique » : l’éducation, la vulgarisation, la propagande révolutionnaires contribueraient à dissiper les voiles dont l’obscurantisme enveloppait la domination, à faire reculer l’ignorance et la naïveté ainsi qu’à dissoudre par la raison l’attachement irrationnel, idéologique ou inconscient, à l’ordre établi, à la hiérarchique, aux rapports de domination. Or, si la propagande révolutionnaire n’a pas enregistré que des échecs 3[3], l’expérience semble enseigner qu’elle était pas à la hauteur de la tâche, et le déclin des certitudes scientifiques concernant le cours de l’histoire ne peut que la mettre en cause de façon encore plus profonde, Au moins avait-elle su poser, comme problème central, celui du rapport au pouvoir, à la domination. Et c’est encore celui-ci qu’il faut aujourd’hui reconsidérer, car c’est bien là que trouvent leur origine les attitudes par rapport à la révolution 4[4].

II. - Pouvoir et identification

La pédagogique révolutionnaire considère en effet que le maintien du rapport de domination (c’est-à-dire d’un pouvoir de régulation sociale inégalitaire qui s’est historiquement transféré à une partie restreinte de la société, les « maîtres », qui bien entendu le défendent âprement) repose sur l’ignorance générale de son fondement véritable (économique ou politique), de son caractère historique, particulier et non pas universel et indépassable (et une certaine ethnologie moderne vient appuyer cette perspective en reprenant l’opposition entre sociétés étatiques et sociétés sans Etat, opposition depuis longtemps critiquée comme simpliste) ; de son côté, l’analyse psychologique ou psychosociologique s’efforce de mettre au jour un attachement profond et irrationnel à la relation de domination, diversement interprété, et qui conduirait à accepter ou même à désirer le maintien de l’ordre inégalitaire C’est ainsi que resterait bloquée, chez la plupart des gens y compris les plus opprimés, la constitution d’une volonté de subversion et de révolution, visant au-delà des mouvements de résistance et de révolte que le fonctionnement social engendre quotidiennement. Pourtant, si l’absence d’une volonté révolutionnaire collective est manifeste, on peut se demander si l’analyse des conditions de cette acceptation du pouvoir a suffisamment pris en considération certains aspects essentiels.

C’est ce que laissent entendre les relectures modernes d’un des textes qui ont le plus nettement cerné le problème, tout en laissant place à de multiples hypothèses : le Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boëtie 5[5]. Dans la prétendue volonté de servir, ou de dominer, on a pu déchiffrer les avatars de la volonté universelle d’être ensemble, de constituer une unité sociale humaine et de s’y intégrer ; cette volonté peut s’égarer dans l’image illusoire du « maître », figure de « l’identité imaginaire du Moi-Homme et du Nous-Peuple », « image de la société toute rassemblée et possédant une seule et même identité organique » (C. Lefort). Mais c’est une figure à laquelle tous s’identifient dans la reproduction par chacun, à son échelle, du rapport de domination, reproduction censée apporter des avantages immédiats, en réalité illusoires et décevants. Et par cette reproduction s’instaure la « longue chaîne » (La Boëtie) des relais du pouvoir du maître, ou de I’Etat, qui fait percevoir ce pouvoir à la fois comme central, unique, et indéfiniment fragmente. Toute domination se maintiendrait en entretenant de quelque façon l’identification à ce qui figure l’unité sociale et en apportant des satisfactions, fussent-elles partielles et illusoires, aux attentes qui visent cette unité.

C’est donc ce qui nous invite à rechercher comment les mécanismes ou dispositifs modernes de la domination assurent ces mêmes fonctions et parviennent ainsi à prévenir la constitution d’une volonté révolutionnaire.

III. - Le pouvoir moderne

En schématisant et en ne retenant que ce qui peut se rapporter à notre problème, nous dirons que ces dispositifs modernes (donc propres aux sociétés occidentales, ou assimilées, les plus développées) assurent les fonctions suivantes :

1. Entretenir l’identification entre dominés et dominants (et repousser ainsi à l’arrière-plan les antagonismes et conflits réels) soit au niveau social (par le brouillage des références qui marquent les appartenances de classes), soit au niveau institutionnel (machines électorales fonctionnant en tous lieux, participations et consultations diverses), soit au niveau imaginaire (scène politique, media, etc.).

2. Démultiplier à l’infini le pouvoir politique central et le diffuser par d’innombrables relais et supports administratifs et réglementaires dans tout le corps social et dans toutes les relations, y compris celles qui sont le moins soumises à l’autorité directe de l’Etat, par exemple dans les groupes et les associations ; en instaurant ainsi une reproduction homologique du pouvoir qui repose certes sur la coercition mais bien davantage sur la sollicitation indirecte, le codage et le contrôle 6[6], ce dispositif difracte le rapport Etat/société et le rend à la fois omniprésent et insaisissable.

3. Diversifier enfin et fragmenter à l’infini les relations sociales elles-mêmes, multipliant ainsi les axes de conflit (classes, organisations, sexes, cultures, ethnies, générations, etc.) sans qu’il soit possible de les ramener tous à un axe fondamental et de les organiser autour de celui-ci. De plus, les difficultés mêmes que rencontre manifestement l’Etat pour contrôler et intégrer cette multiplicité de conflits (notamment au plan économique) renforce paradoxalement la représentation dominante d’une complexité écrasante, insurmontable et définitive des sociétés modernes, complexité qui appellerait inévitablement un pouvoir d’Etat et mettrait en même temps celui-ci hors d’atteinte (la modernité étant devenue synonyme de puissance mais surtout de complexité). Dans cette dernière catégorie de dispositifs sont donc également compris ceux qui assurent la gestion et la reproduction de cette représentation du social 7[7].

Si cette description trop rapide des mécanismes qui assurent plus ou moins directement le fonctionnement du pouvoir correspond tant soit peu à la réalité des sociétés « modernes », on voit mieux pourquoi les idées et projets révolutionnaires connaissent la crise dont nous avons parlé. Un projet révolutionnaire ne pourrait rassembler autour de lui une volonté collective que si, à travers les mouvements sociaux d’ampleur variable mais jamais absents, se dessinaient les représentations d’un objectif collectif à réaliser, d’un adversaire collectif à abattre, et d’une collectivité susceptible de se faire le sujet d’un tel processus révolutionnaire. Processus qui passerait par la mise en panne, ou la neutralisation de chacun des dispositifs analysés plus haut. Or la société moderne est précisément agencée pour se présenter comme trop complexe, trop fragile et aussi trop menacée (que ce soit par la « crise » ou par des ennemis plus particularisés) pour pouvoir offrir une quelconque possibilité de redéfinition et de recomposition radicales. De son côté, le pouvoir politique apparaît trop éclaté et décentré pour constituer un adversaire identifiable à abattre (et même à réorienter, par exemple à travers la lutte politique institutionnelle). Aucun des divers axes de conflit social n’apparaît plus comme fondamental et décisif, ni par conséquent comme porteur potentiel d’une capacité de déstructuration (et de restructuration) globales ; même pas l’axe économique : les grèves par exemple peuvent être dures, nombreuses, puissantes, elles ne se « généralisent » pas ou plus d’elles-mêmes, mais seulement de l’extérieur éventuellement, et surtout ne produisent pas de projet social et restent, comme on dit, « sans perspectives ». On assiste donc à la fois à la déperdition du projet révolutionnaire universel, de son sujet historique traditionnel (la « centralité ouvrière 8[8] »), et accessoirement, des intellectuels qui s’en voulaient les prophètes et les serviteurs 9[9].

De sorte que, dans les représentations dominantes de la relation entre Etat et société, comme dans celle du rapport entre les individus et leur champ d’action, ainsi que dans le fonctionnement social le plus quotidien, entièrement articulé sur l’opposition public/privé, tout semble contribuer à court-circuiter, préventivement, la formation d’un antagonisme majeur et global, d’un « partage binaire et massif » (Foucault) : eux et nous, le haut et le bas, les dominants et les dominés. S’il est nécessaire que se produise une telle polarisation sociale (quelles qu’en soient les formes et les conditions qui peuvent être très diverses) pour que s’enclenche un processus révolutionnaire, le fonctionnement normal et ordinaire (précisons le bien) des dispositifs énumérés la rend tout à fait improbable, puisqu’ils entraînent, au-delà du côté spectaculaire du rapport Etat-société, une « molécularisation » de la domination et en même temps des résistances, qui fait obstacle à l’agrégation de celles-ci et met la révolution hors-jeu (y compris ce qu’on a pu envisager sous le nom de « révolution moléculaire10[10] »).

IV. - Le pouvoir et la révolution en question

Nous avons jusqu’ici mis en relief le fractionnement des antagonismes sociaux, la multiplication des adversaires, l’éloignement et le caractère insaisissable de l’Etat, dont les figures diverses sont néanmoins l’objet d’identifications fondamentales pour l’entretien du « consensus ».

Pour autant, tout n’a pas été relevé de ce qui, dans l’articulation du pouvoir à son niveau fondamental comme sous ses formes les plus modernes, permet de comprendre ce qu’on a appelé l’attachement à l’ordre établi et l’hostilité envers les projets révolutionnaires. Il faut insister d’une part, sur le caractère ambigu du rapport de domination, d’autre part sur certaines dimensions inquiétantes de l’idée de révolution, pour pouvoir saisir toutes les significations contenues dans la crise que celle-ci connaît. On remarquera d’abord que ce qui est le plus fortement détesté et suscite la révolte, ce n’est pas tant la domination ou le pouvoir comme tels : la vie quotidienne implique que ceux-ci, sous leurs mille forme diverses, ne sont pas ressentis comme illégitimes et insupportables ; ce sont bien plutôt leurs « abus » ; et ce qui est ressenti comme tel, comme abusif ou excessif, c’est justement ce qui anéantit, au plan réel ou imaginaire, ces attentes fondamentales, indiquées par La Boëtie, de socialité, identité et unité d’échange et de réciprocité, attentes auxquelles le pouvoir dans son fonctionnement ordinaire donne une réponse au moins imaginaire ou symbolique. « L’abus de pouvoir », lui, a pour effet de dissiper l’ambiguïté attachée à la relation de pouvoir ; celle-ci apparaît des lors comme pure domination, dépourvue de toute reconnaissance réciproque, d’échanges même simulés et inégaux, de socialité même restreinte et formelle, bref comme une relation non sociale et comme telle inacceptable. C’est pourquoi c’est le tyran, le despote ou le pouvoir despotique qui sont haïs, non pas le maître, le gouvernant ou le gouvernement en eux-mêmes. Et peut-être n’est-ce pas non plus le rapport de domination qui serait « désiré » par ceux qui le subissent, ou bien qui l’exercent à leur tour par exemple en le déplaçant, mais bien la promesse de lien social que ce rapport contient (promesse fallacieuse, bien entendu, puisque le pouvoir pervertit et méconnaît un tel lien). Lien social d’autant plus valorisé, même sous ses formes les plus misérables et aliénées, que tout ce qui est spécifique des sociétés modernes ne cesse de lui porter atteinte : la dispersion, l’atomisation des individus, la codification mécanique de leurs rapports, des modes de vie, des langages, leur homogénéisation associée au caractère de plus en plus abstrait et lointain des entités sociales (classe, nation, etc.). Il faudrait donc, pour comprendre sur quoi repose l’indifférence envers la révolution, invoquer la convergence entre les effets des dispositifs spécifiques et l’intensité de la « frustration sociale » propres aux sociétés modernes. Mais les connotations du thème de la révolution recèlent encore d’autres significations. Car l’idée de révolution ne suscite pas seulement l’indifférence ou l’incrédulité, mais bien de la crainte, voire de l’aversion. Et nous savons qu’il ne suffit pas, pour l’interpréter, d’évoquer l’amour de l’ordre ou du chef, la répression sexuelle, l’intérêt individuel ou de classe, l’endoctrinement conservateur, le conditionnement mass-médiatique, ni même le sentiment d’être dépassé par des mécanismes sociaux trop complexes. Pas plus que d’imputer cette aversion aux témoignages et aux enseignements que même les moins informés ont pu tirer des expériences révolutionnaires du XXème siècle, et du modèle soviétique. Et qu’on ne peut se contenter, enfin, d’incriminer l’insuffisance ou les déficiences des projets révolutionnaires en circulation (qui seraient trop autoritaires, trop violents, trop bolcheviques, trop étatiques, trop syndicalistes... à moins qu’ils ne le soient pas assez !). Sans doute chacune de ces interprétations invoque un aspect pertinent. Mais pourquoi ne pas essayer de lire, dans cette « résistance » à la révolution, autre chose que de l’aliénation politique, de l’ignorance, de la naïveté ? Pourquoi n’y aurait-il pas là l’intuition de quelques relations essentielles ? par exemple les suivantes :

1. Toute révolution ou projet de révolution touche au pouvoir, vise à intervenir au niveau de celui-ci, est par conséquent entachée aussi d’une visée de pouvoir, même si elle se veut collective, désintéressée ; dans une telle visée, les ambitions et les intérêts cachés sont déjà les moins contrôlables, étant davantage idéologisés. D’où la méfiance que suscite, par son ambiguïté secrète, tout projet d’agir sur le social, spécialement le projet révolutionnaire, qu’il soit porté par les exclus du pouvoir ou par d’autres mieux placés. Cette méfiance, exprimant l’intuition de la nature trouble, menaçante, d’un tel projet, est déjà bien autre chose que l’attachement à l’ordre établi ; elle ne peut qu’être renforcée à la pensée de ce qu’est devenu le pouvoir dans les Etats modernes, avec les instruments dont ceux-ci disposent, et de ce qu’il a été et est encore capable de produire comme excès, violence et barbarie, directement ou indirectement. L’intervention dans le champ du pouvoir suscite inévitablement l’image et la crainte de conséquences incontrôlables et incalculables. En particulier la crainte de ce que pourrait entraîner, à l’occasion d’un bouleversement révolutionnaire, toute monopolisation du pouvoir par un ou par des individus, et même par une classe tout entière (que l’on voit mal en mesure d’honorer la mission écrasante d’émanciper le genre humain 11[11]). Il faut donc poursuivre la réflexion sur le rapport spécial au pouvoir que contient toute perspective révolutionnaire, et tenter ainsi de retrouver les interrogations du sens commun 12[12],

2. Toute perspective révolutionnaire se veut radicale, elle comporte l’idée d’une redéfinition générale et profonde de tous les domaines et relations sociales, elle est animée par idée absolument juste que ces relations sont interdépendantes, que l’aliénation humaine s’y imprime partout et ne pourra être dépassée que par une remise en cause globale. C’est donc la société tout entière, comme ensemble antagonique et comme pseudo-communauté, divisée et déchirée, qu’il s’agit de détruire, et c’est à ce projet d’anéantissement de l’existant, avec ses étapes ou « transitions » éventuelles, doublé bien entendu par un projet de reconstruction radicale, qu’on s’efforcera de rallier ou d’associer le maximum ou une majorité de gens. Or un tel projet, par sa définition même, porte atteinte, comme le fait également le fonctionnement normal des sociétés modernes, au sentiment que partagent la plupart des opprimés et des exploiter de constituer, même dans les conditions les plus misérables, une communauté véritable, riche de sa culture, de ses particularités, du rapport spécifique qui la relie à un espace et à une histoire, de constituer un milieu réel où circule sous toutes sortes de formes une vie sociale spécifique, avec sa consistance propre, ses potentialités, son devenir.

Ce sentiment doit être analysé, et critiqué dans ce qu’il peut avoir d’irréel, d’illusoire, et d’asservissant, et il l’a été abondamment 13[13]. Cependant, si les mots d’ordre qui appelaient à la constitution d’une communauté des opprimés et des exploités, située sur un tout autre plan, si ces mots d’ordre n’ont pas rencontré d’écho ni provoqué la mobilisation escomptée, il faut se demander si cela ne renvoie pas en quelque façon à la méconnaissance qu’ils contiennent de cette réalité sociale présente et valorisée à un certain niveau par chacun, qu’il le reconnaisse ou non. L’idée que les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes a davantage suscité le refus de se considérer comme prolétaire, que la fierté d’être une simple force de travail et la volonté de se rassembler autour de ce concept ; le projet de faire du passe « table rase » comporte de même la négation globale de tout ce à partir de quoi s’est constitué et s’entretient le sentiment d’identité des individus et des groupes.

C’est probablement de ce côté qu’il faut chercher la raison du succès remporté, à travers l’histoire et aujourd’hui encore dans les sociétés les plus mélangées, par les idéologies nationalistes, révolutionnaires ou pas - autant ou davantage que du côté de l’idéologie dominante 14[14] ; il est temps de se demander pourquoi, actuellement, ces idéologies sont les seules à susciter un degré d’adhésion et de mobilisation collectives que l’on a trop largement mis au compte de la naïveté et de l’arriération des masses, et de la facilité à les manipuler. Il faut constater que les seuls appels à la mobilisation révolutionnaire qui aient un écho sont justement ceux qui, à travers toutes les ambiguïtés déjà soulignées, savent impliquer cette dimension de l’identité collective concrète ; et non pas ceux qui évoquent, à un niveau abstrait, une communauté de classe que la société ou le pouvoir moderne a su désarticuler ou faire avorter, ou d’une communauté humaine future dont personne ne peut donner une vision précise, ni surtout énoncer ce qu’elle retiendrait du présent. Plus les projets révolutionnaires se veulent radicaux, moins ils semblent prendre en compte cette dimension de l’identité, essentielle à toute mobilisation, ou essayer de montrer comment le présent et le passé trouveront leur prolongement dans le futur. Contradiction qui pourrait bien être à la base de leur inefficacité historique. Toute tentative de redéfinition d’un projet révolutionnaire devrait prendre en considération cette dimension et en explorer les conséquences.

3. Enfin, le projet révolutionnaire lui-même, tel qu’il se présente et s’explicite, et quelle qu’en soit la version, autoritaire ou libertaire, comporte l’idée d’une rationalisation possible et délibérée de tout le social : à tous les niveaux, qu’il s’agisse de l’organisation des entreprises communes, de la production et des échanges économiques, des rapports entre les individus et entre les groupes, de la gestion des conflits, ou des déviances, de la détermination de l’avenir, c’est-à-dire des choix collectifs, etc. L’incrédulité que suscite une telle idée est-elle simplement un signe d’ignorance, ou bien n’exprime-t-elle pas le sentiment du caractère vivant, opaque, imprévisible, de tout corps social, de toute société ? Et la certitude qu’une telle réalité ne peut être soumise, sans conséquences ici aussi incalculables, sans risque de convulsions effroyables, à la tentative de redéfinition rationnelle intégrale, aussi bien intentionnée soit-elle. En vain protestera-t-on que les projets authentiquement révolutionnaires ne se proposent pas cette rationalisation intégrale, car quel est celui qui s’est soucié de préciser, de circonscrire le champ des transformations, les principes de prudence qui les conduiraient, les précautions concrètes qui les préserveraient de toute dérive rationaliste ou messianique ? La méfiance envers les projets révolutionnaires peut donc traduire fondamentalement le refus de ce qui d’une certaine façon méconnaît ou sous-estime la complexité organique et surtout l’imprévisibilité des réactions sociales aux entreprises visant la société tout entière. Il s’agirait de la crainte qu’inspire la violence faite au social bien plus que de la crainte d’un déchaînement de la violence elle-même 15[15].

En somme, les discours et projets révolutionnaires ont eu trop vite fait d’écarter ce genre de questions et d’objections, souvent par un surcroît de rationalisme social, et se sont trop peu préoccupés de les intégrer aux inquiétudes et aux certitudes dont ils étaient eux-mêmes inspirés. Ainsi se sont-ils contentés, le plus souvent, de proclamer comme objectif la destruction de tout pouvoir « politique proprement dit » (Marx), d’annoncer l’avènement d’un monde nouveau, la rationalisation de la production et des échanges (dont la simplification à l’essentiel, une fois écartée l’exploitation, le profit, et tout ce qui en découle au niveau des besoins, permettrait de les offrir aux yeux de tous dans des alternatives intelligibles à l’aide des techniques les plus avancées), etc. Mais ces mêmes révolutionnaires n’ont pas encore relevé le défi, le plus souvent muet, que leur lancent non pas les maîtres ou les exploiteurs, mais les opprimés et les exploités, par l’aversion que ceux-ci nourrissent très généralement envers leurs projets.

Et c’est seulement à la condition de prendre au sérieux de telles questions que l’on peut à son tour, en retournant l’argument, essayer de montrer avec quelque plausibilité que le maintien de l’ordre établi contient lui aussi, et peut-être davantage que les tentatives révolutionnaires, des risques ou même des certitudes de convulsions sociales tout aussi effroyables.

V. - Les révolutions du XX’ siècle

Les interprétations avancées précédemment et les questions évoquées resteraient bien inconsistantes si elles n’étaient corroborées par les enseignements que délivrent les expériences historiques contemporaines, concernant la relation entre les types de pouvoir socio-politique et la révolution. Les réflexions qu’ont inspirées les révolutions du XXème siècle voient souvent leur valeur limitée du fait qu’elles n’auraient pas su distinguer suffisamment les époques et les contextes où ces révolutions ont surgi. On en est donc resté à des constatations trop générales, ou pas assez construites : celle, par exemple, de l’échec des révolutions modernes à remplir les promesses de leurs projets initiaux ou à suivre les voies que leur traçait la théorie. Echec attribué, selon les cas et les préférences, à des facteurs organisationnels (leçons léninistes diverses), ou idéologiques, tel la prédominance de l’inspiration autoritaire (leçon anarchiste 16[16]), ou bien à des raisons plus générales, comme la prétendue contradiction indépassable entre révolution et démocratie 17[17], ou bien entre égalité et liberté 18[18]. Or le temps est déjà loin où l’on pouvait évoquer la révolution comme « l’un des événements les plus communs de la vie politique de presque tous les pays et continents 19[19] ». Il faut faire aujourd’hui un constat bien plus précis, et distinguer sous cet angle la situation des sociétés industrielles occidentales (auxquelles se réfèrent toutes les considérations précédentes), et celle des sociétés industrielles à régime soviétique - en laissant de côté les perspectives de la révolution dans les pays du « tiers monde », qui relèvent d’une problématique spécifique.

Dans les premières, les sociétés capitalistes occidentales, ou d’économie mixte, il n’y a plus eu de tentatives révolutionnaires depuis la fin des années trente - au moins 20[20]. Les mouvements de 1968, en France, en Allemagne, en Italie ? Il s’agissait de mouvements sociaux et culturels, et de crise politique ; il y a bien eu extension de « l’agitation » à tous ou à de nombreux points du système social, il n’y a pas eu de polarisation ; ce n’est pas en sous-estimer l’importance et la signification que de dire qu’il ne s’est pas agi d’une révolution vaincue ou d’une tentative révolutionnaire. Peut-être le seuil que nous traçons doit-il être situé plus haut. Par exemple, l’Espagne de 1936, exemple déjà plus lointain, et qui reste le témoignage classique de la créativité sociale dont est capable un mouvement social, ainsi que de la pertinence des idéaux libertaires. Cette révolution véritable, bien que vaincue, ne laisse pourtant pas de soulever toutes sortes de questions quant aux leçons qu’elle peut inspirer 21[21]. Il suffira ici d’en poser une seule : cette révolution est-elle surgie dans une société comparable aux sociétés occidentales d’aujourd’hui, Espagne comprise, au niveau des fonctionnements intégratifs que nous avons relevés ? Il ne serait pas difficile de marquer en détail tout ce qui les sépare. On peut remonter encore plus loin, à l’Allemagne des années 1918-23 - exemple unique de tentative révolutionnaire prolétarienne dans un des pays industriels les plus avancés. Là encore, il y a bien des divergences d’interprétations. On soulignera donc seulement 1) que la société allemande de l’époque est, elle aussi, bien différente des sociétés actuelles, même lorsqu’elles sont durement frappées par la crise, et 2) que même sur ce cas, des analyses qui s’inscrivent incontestablement dans une perspective révolutionnaire concluent dans cet exemple à la faiblesse de la conscience révolutionnaire et de la volonté de reconstruction radicale de la société, y compris parmi les acteurs du mouvement social, et à l’absence de polarisation sociale 22[22].

De toutes façons, cette époque et les traits qui la caractérisent sont trop lointains pour pouvoir orienter avec une quelconque certitude l’analyse des mouvements sociaux contemporains. Ils permettent tout au plus de confirmer certaines idées sur la mise en place des dispositifs d’intégration. Si donc la révolution fait encore partie de l’imaginaire social, ce n’est pas tellement par rapport aux expériences révolutionnaires lointaines et ambiguës de l’Europe occidentale, mais bien par référence à d’autres expériences historiques, plus proches dans le temps, mais qui se déroulent dans un tout autre cadre, celui des pays de I’Est. En effet, si la révolution a encore une présence dans la conscience des Européens occidentaux, c’est dans la mesure où ils se réfèrent aux évènements qui ont eu pour théâtre les sociétés de type soviétique. C’est dans ces sociétés plus ou moins industrialistes, plus ou moins modernes, plus ou moins imprégnées de culture occidentale, politique ou autre, et diversement situées dans le contexte soviétique, que se maintiennent encore aujourd’hui les perspectives d’une révolution politique et sociale ; perspectives qui se concrétisent parfois et même périodiquement en tentatives poussées plus ou moins loin : Allemagne de l’Est, Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne surtout à diverses reprises - à l’exclusion de l’U.R.S.S., qui n’a connu que des révoltes circonscrites, et la contestation radicale mais symbolique et fragile de la dissidence 23[23]. Ces diverses tentatives, habituellement rangées dans la catégorie des « révolutions antitotalitaires », montrent la plupart du temps une pluralité de dimensions (démocratique, prolétarienne, nationalistes, religieuse, et même antiautoritaire et libertaire) qui rend la nature de ces mouvements sociaux incertaine et discutée ; cette pluralité de dimensions est cependant importante, car elle indique l’une des conditions de la reconstitution d’une cohésion sociale active 24[24].

Impossible en tous cas de ne pas observer que, depuis l’après-guerre, les seuls pays européens qui aient connu des mouvements sociaux radicaux et puissants, associant les couches les plus diverses de la société contre un même adversaire, et avec un même objectif immédiat, bref des mouvements révolutionnaires, sont précisément ceux où s’est instauré un mode de domination bien particulier (dit « totalitaire »), de toutes façons bien différent de celui que nous avons analysé plus haut. Ce mode de domination se caractérise 25[25] principalement par une coercition sociale, politique, policière très forte, dotée de moyens de violence plus ou moins sophistiqués, et par un « régime idéologique » de saturation, que l’on décrit presque toujours et à tort comme de l’endoctrinement ou du conditionnement.

Un tel régime social et politique, lorsqu’il est rapporté à son cadre, reste cependant très rudimentaire et très brutal, en ce qui concerne tout au moins les pays de l’Est, sinon la Russie même. En effet, ces sociétés centre ou est-européennes, avec leur histoire, leur contexte oriental et occidental tout proche, leur différenciation interne, leur degré de développement industriel, etc., constituent un cadre social, économique et culturel qui permettrait et appellerait la mise en place de modes de domination plus « avancés », plus performants, tels ceux que l’on trouve dans le capitalisme occidental, précisément. Dans les pays de l’Est, un pouvoir qui tente de fonctionner sur le modèle soviétique, c’est à dire sans scène politique, sans opinion publique, sans idéologie au sens propre, donc sans intégration ni consensus, ce type de pouvoir empêche la mise en place des dispositifs d’identification (sauf envers les figures de l’opposition politique, cf. la Pologne aujourd’hui) et des relais du pouvoir, l’insaisissabilité de celui-ci, au contraire bien localisé et identifiable, bref, il empêche l’établissement de tous les dispositifs modernes relevés dans la structure politique des sociétés occidentales ; faisant apparaître les gouvernants comme des tyrans, et le pouvoir comme un abus permanent, il permet l’installation d’une polarisation durable de la société (Eux et nous) qui peut se cristalliser à tout moment en un rapport de force, à partir d’événements et de lieux imprévisibles et divers, et se propager ensuite dans tous les secteurs et couches de la société.

Malgré ou plutôt à cause même de la nature de la domination, centralisée, violente, excessive et manifeste, malgré la puissance des moyens répressifs et les souvenirs des défaites passées, c’est donc bien dans les pays de l’Est que l’on peut s’attendre au retour des tentatives révolutionnaires - sans qu’il soit possible, bien entendu, d’évaluer leurs chances de succès, d’extension à l’intérieur du cadre soviétique ou leurs répercussions hors de ce cadre et dans l’Europe occidentale toute proche ; d’ou l’importance pour celle-ci, toute autre considération mise à part, des événements qui se déroulent dans les pays de l’Est, ou des transformations graduelles qu’ils connaissent.

VI. - Perspectives incertaines

Dans les pages qui précédent, il s’agissait essentiellement d’apporter, du point de vue de l’analyse politique et idéologique, un complément aux interprétations qui classiquement rapportent l’absence de mouvements révolutionnaires dans les pays « avancés » aux ressources encore disponibles pour le capital ainsi qu’à l’effet intégratif des organisations syndicales et des partis réformistes 26[26].

Dans quelle mesure ces considérations conduisent-elles à réexaminer les perspectives révolutionnaires traditionnelles ou modernes, à en marquer les limites ou les difficultés, à approfondir certains aspects négligés, c’est ce que nous allons tenter de voir maintenant. Il ne s’agit nullement, faut-il le préciser, de déclarer que « l’ère des révolutions touche à sa fin 27[27] », pas plus que de proclamer son retour inévitable.

1. Dans la configuration socio-politique des sociétés capitalistes occidentales et dans son type de fonctionnement, on peut ne voir que l’effet des ressources dont dispose « encore » le capitalisme pour remédier aux difficultés qu’il suscite lui-même. C’est le cas de la plupart des analyses révolutionnaires marxistes, qui subordonnent d’abord la concrétisation de toute perspective radicale dans le capitalisme avancé à un certain degré d’aggravation de la crise économique qu’il engendre inéluctablement. Cette aggravation inévitable, à terme, des crises peut être fondée de diverses façons en théorie ; mais que l’aggravation résulte du rétrécissement du marché ou de la baisse du taux de profit, et quelles que soient les causes de celle-ci, cela importe peu pour notre objet, si de toutes façons on compte seulement sur elle pour que, les ressources étant taries, les divers dispositifs politiques et idéologiques de domination et de fabrication du consensus soient massivement inhibés. Pour P. Mattick, par exemple 28[28], tant que la crise n’a pas pris des proportions nationales et internationales suffisantes pour entraîner un tel effet (c’est à dire, tant que les exploités, toutes illusions dissipées, ne se retrouveront pas « le dos au mur ») les chances que se produisent des soulèvements révolutionnaires susceptibles de s’orienter ensuite dans un sens anti-capitaliste, antiétatique et antiautoritaire, restent négligeables. Lorsque cela se produira, ces chances seront meilleures, sans équivaloir cependant à une certitude : car tout dépendra alors du niveau de conscience atteint par les exploités, à travers leurs actions et expériences précédentes. Sur ce niveau de conscience règne la plus grande incertitude : d’un côté, on ne peut renoncer à l’idée d’une accumulation de l’expérience collective des travailleurs, sans risquer de tomber dans un déterminisme économique strict, donc on dira : « L’histoire de l’échec est aussi celle des illusions abandonnées et de l’expérience acquise, sinon pour l’individu au moins pour la classe », car « il n’y a aucune raison de supposer que le prolétariat est incapable de tirer les leçons de l’expérience 29[29] ». Sauf celle-ci, tout aussi assurée : « Ce qu’une génération a appris, la suivante l’oublie, menée qu’elle est par des forces qui échappent à son contrôle et à sa compréhension 30[30] ». Ainsi, le processus de la prise de conscience de classe restant indéterminable et imprévisible, on demeure partagé entre les constats pessimistes (« après cent années d’agitation socialiste, l’espoir de l’émergence de mouvements socialistes, qui reconnaissent dans la relation capitaliste la source d’une chute effroyable vers la barbarie, semble bien mince ») et la confiance, si l’on peut dire, dans une aggravation de la crise (fondée dans l’analyse économique) et dans son effet sur les exploités. Et tout en sachant qu’on a, dans le passé, « surestimé la capacité de l’idéologie marxiste à influer sur la conscience de classe du prolétariat 31[31] », il n’est d’autre recours que de scruter, dans le cadre de cette même théorie marxiste, les difficultés où s’enferre le capitalisme et les remèdes inégaux et temporaires qu’il parvient à y apporter, ainsi que les réactions et résistances par lesquelles y répondent à leur tour les travailleurs. Et de s’efforcer de faire comprendre à ceux-ci que ces difficultés ne feront que croître et ne seront surmontées, dans le cadre capitaliste, qu’à leur détriment. Toutefois, ces considérations restent forcement théoriques et abstraites, et les travailleurs ne les comprennent vraiment dans toute leur portée que lorsqu’ils sont précisément le dos au mur, acculés par la crise. Le cercle est ainsi refermé. Et comme le facteur temps ne peut être intégré dans ces analyses que sous l’angle négatif (comme facteur d’imprévisibilité, personne ne pouvant dire ni où ni quand la crise atteindra les proportions « attendues » et rendra possibles des réactions salvatrices 32[32]) , l’analyse d’intention activiste débouche sur une incertitude généralisée - au point que c’est à peine si l’on peut parler de perspective. Ainsi, lorsque avec une infinie patience, on s’efforce de mettre en relief les exemples de luttes autonomes qui éclatent périodiquement au sein du mouvement social 33[33], on est en même temps conduit à noter objectivement leur caractère limité, isolé, dispersé, et l’on court le risque d’alimenter l’idée d’une intégration capitaliste encore si solide que personne ne peut assurer entrevoir son ébranlement. D’où le recours à la théorie des crises. La fonction essentielle de celle-ci se résume donc, en posant les limites théoriques au développement capitaliste, à prévenir la tentation intellectuelle de déclarer la société capitaliste définitivement intégrée au plan économique - résultat non négligeable, mais d’un impact bien limité.

2. D’autres analyses, menées d’un point de vue plus politique, et plus ou moins conscientes de la nécessité d’une polarisation sociale pour que surgissent des objectifs révolutionnaires, s’attachent à relever dans les sociétés occidentales tous les signes possibles d’un durcissement du pouvoir moderne, d’une tendance au « néo-fascisme » ou au « néo-totalitarisme », à mettre en relief l’intensification de la répression, de la violence d’Etat, du terrorisme d’Etat, et ceci jusqu’à envisager ou annoncer une identification des dominations occidentale et soviétique.

On reconnaît ainsi, indirectement, que ce qui est susceptible d’entraîner radicalisation et mobilisation, c’est bien le pouvoir perçu comme pure violence, comme excès et comme abus. Parmi les Etats modernes, il en est peu qui ne donnent pas matière à la dénonciation, tout à fait justifiée, des actes de répression auxquels ils se livrent, et de la dérive répressive de leurs institutions, judiciaires, policières, etc., qui s’en prennent par exemple aux immigrés, aux militants, ou à d’autres boucs émissaires.

Force est pourtant de constater le peu d’écho que rencontre l’exhortation militante sur ce thème, quand ce n’est pas une sereine indifférence ou une approbation ouverte ; chacun pouvant se rendre compte à cette occasion de l’efficacité des dispositifs de pouvoir qui produisent ici leurs effets. A défaut donc de pouvoir attendre que se produise par là la polarisation nécessaire, il reste toujours possible d’en prédire l’apparition, en tablant derechef sur l’aggravation des conditions économiques pour accentuer la réorientation répressive du pouvoir d’Etat (et on est alors ramené à la perspective plus « économiste », évoquée plus haut).

On se contentera d’observer que de tels durcissements répressifs, lorsqu’ils se produisent, comme en R.F.A., en Italie, en Espagne, en France également, sont bien loin d’entraîner à eux seuls une modification assez profonde et assez générale des mécanismes du pouvoir pour que celui-ci tende à s’assimiler au pouvoir de type soviétique, ou pour susciter une polarisation du corps social en partisans et adversaires de l’ordre. Le cas de I’Allemagne est, comme toujours, particulièrement éclairant - sans doute à cause de sa « modernité » : il y a bien eu clivage, et même d’une certaine façon polarisation entre la société et une contre société 34[34] ; toutefois, ces deux termes n’étaient pas ou ne sont pas en lutte ouverte, mais plutôt dans un rapport d’articulation et de complémentarité réelle entre une écrasante majorité et ceux qui « vivent autrement ». Et la gestion de cette articulation, c’est quelque chose que le pouvoir était tout à fait en mesure de prendre en charge.

Le pouvoir d’Etat a pu en effet apprendre à contrôler ses propres démarches répressives plus facilement qu’à maîtriser ses propres contradictions ou ses multiples tâches ; c’est ce qu’il a appelé « préserver les garanties démocratiques », et il est parvenu de toutes façons à en donner, via les média, une représentation « acceptable », de façon à éviter de prendre le visage de la tyrannie. Ce n’est certes pas par attachement des gouvernants occidentaux à la démocratie que la répression reste contenue entre certaines limites, d’ailleurs mouvantes - encore que l’on voie mal comment des politiciens qui ont passé toute leur vie publique dans le cadre dit démocratique s’accommoderaient si facilement du passage à un autre type, fasciste ou stalinien, de domination : le pouvoir nazi a du recruter son propre personnel avant de pouvoir contraindre les autres. Ce n’est pas non plus par répugnance envers le totalitarisme, avec lequel les régimes occidentaux font par ailleurs bon ménage ; c’est plutôt, semble-t-il, pour ne pas risquer d’enclencher un processus qui réactiverait le tissu social au détriment de la politique institutionnelle faite de désocialisation, et qui menacerait le consensus ordinaire, constitué essentiellement de distance, indifférence et de fascination mass-mediatique ; mai 68 avait laissé entrevoir les conséquences incontrôlables qu’un tel processus peut amener.

3. Parmi les autres perspectives que les conditions présentes permettent de considérer, l’une des moins improbables 35[35] est celle du retour des tentatives révolutionnaires à l’Est ; nous avons déjà évoqué les facteurs qui les favorisent dans ces régimes. Certes, les expériences des trente dernières années n’ont pas montré de façon convaincante la tendance de tels mouvements révolutionnaires à déborder de leur cadre propre (le cadre soviétique) ni même à se généraliser à l’intérieur de celui-ci, elles ne prouvent pas la fragilité mortelle des régimes soviétiques. Mais elles n’ont pas montré non plus que ces régimes sont capables d’étouffer définitivement ces mouvements - bien au contraire. Si, comme c’est tout à fait possible, des mouvements sociaux se reproduisent ou s’intensifient dans les pays de l’Est (la Russie en étant exclue, probablement pour longtemps), ils peuvent avoir les conséquences les plus diverses. D’ores et déjà, ceux qui ont éclaté (en Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne) ont eu pour effet d’accentuer le décalage entre le mode de domination soviétique, dont nous avons dit tout ce qu’il a de rudimentaire, et les dispositions et attitudes des populations qui y sont soumises ; ce décalage, cette brèche qui s’est ouverte et s’agrandit un peu plus à chaque crise, les pouvoirs soviétiques parviennent encore à les combler, mais avec une difficulté croissante. C’est ce que montre encore aujourd’hui la Pologne : il y a là, de plus en plus, toute une vie sociale qui ne se déroule plus parallèlement aux normes édictées par le pouvoir (comme c’est encore le cas en Russie) mais à l’encontre de ces normes et de ce pouvoir même, lequel se voit donc progressivement relégué à son propre espace institutionnel, ce qui est un signe d’affaiblissement. Ce pouvoir sur la défensive, la puissance russe et les puissances occidentales rivalisent d’aides et de conseils pour l’aider à se rétablir ; mais rien ne garantit, tout au contraire, que dans les conditions d’aujourd’hui, ce rétablissement pourrait encore emprunter les voies de 1968 ou de 1956, en cas de crise ouverte. Le bilan du coup militaire de 1981, en Pologne, n’est pas encore dressé : l’ordre qui règne à Varsovie n’a pas le même visage qu’il y a huit ou dix ans, et l’avenir est ouvert. Car par ailleurs, à travers les échanges de toutes sortes entre les pays de l’Est et les pays occidentaux, ces sociétés sont en communication constante les unes avec les autres, alors que leurs structures politiques et idéologiques sont hétérogènes, sinon inarticulables ; ce rapprochement, qui n’est pas une assimilation même tendancielle, est lui aussi la source d’un décalage entre le pouvoir et la société, aux conséquences imprévisibles Quant à l’impact que des mouvements sociaux radicaux situés à l’Est pourraient avoir dans les pays occidentaux eux-mêmes, c’est toute une analyse qui reste à mener : apparemment, ils n’ont jusqu’à présent intéressé et « mobilisé » qu’une fraction minuscule des sociétés occidentales ; mais d’autre part, ils ont indéniablement contribué, jusqu’à un certain point, à clarifier et à démystifier les idées courantes sur le régime soviétique, la Russie et le « socialisme », et ce dans toutes les couches de la société. Comme on l’a vu, cela n’a pas été sans répercussions sur la présence de l’idée de « révolution », De tels mouvements peuvent encore, dans l’avenir, ouvrir et stimuler la réflexion et les projets de transformation sociale.

4. Enfin, dans le cadre même des sociétés capitalistes occidentales, rien n’exclut définitivement la décomposition plus ou moins souterraine ou rapide de leur système de domination, sous le double effet d’une part de ses propres difficultés économiques, politiques, etc., et de son propre engagement, et d’autre part d’une reviviscence du tissu social. Car plus que par le progrès des idéologies révolutionnaires revues et corrigées, c’est par des mouvements et actions ayant pour effet de contrer l’atomisation, la dispersion, de reconstituer des groupes et des communautés réelles et concrètes, que ce soit au plan local ou au plan des luttes sociales, que peut se dérouler (dans le meilleur des cas) un processus de resocialisation (sûrement limitée, partielle, éphémère), qui reste la condition pour que des transformations soient entreprises par un sujet collectif, pourvu d’une identité et capable de se reconnaître lui-même. Rien ne sert ici d’opposer au réformisme naïf ou rusé des sociaux-démocrates l’antiréformisme révolutionnaire : aujourd’hui comme hier, ce n’est que par rapport à des objectifs immédiats, proches, visibles, et par conséquent forcément limités, que des intentions et projets d’action collective peuvent se constituer ; les objectifs de transformation globale, radicale, demeurent sans écho et sans consistance, tant qu’ils ne se déploient pas sur l’horizon d’actions et de mouvements en cours. Encore faudrait-il, même dans ce cas, que ces idées et projets « révolutionnaires » soient capables d’intégrer des dimensions et des aspects qui avaient été jusqu’ici négligés ou refoulés. En particulier ceux que nous avons évoqués.

Ainsi, toute action collective implique une composante identitaire « plurielle », elle peut inclure des dimensions économiques, culturelles, ethniques, ou autres : on ne peut pas préjuger de leur sens, c’est seulement par leurs effets sociaux que de telles composantes manifestent une portée radicale ou conservatrice. Il est bien entendu nécessaire d’être vigilant envers les usages et manipulations que cette pluralité de dimensions suscite, mais il est inutile d’exiger ou de poser, en théorie, la prédominance d’une seule d’entre elles.

D’autre part, toute identité collective ayant son fondement dans la réalité présente, les projets de transformation doivent inclure dans leur démarche une certaine valorisation de I’existant, et non pas seulement sa critique ; sous peine de n’être capable de rallier aucune adhésion, il est nécessaire d’évoquer ce qui peut et doit être conservé et développé, ou ce devant quoi s’arrêteront, au moins provisoirement, les projets de mise en ordre rationnelle ; donc limiter ou délimiter le champ d’intervention, circonscrire la portée de la rationalisation. C’est là, en même temps, un moyen de désamorcer les craintes que font naître le pouvoir et les entreprises qui le visent, de témoigner d’un respect du social, et de son « autonomie », tout en posant la possibilité d’une réappropriation du politique, et non pas de sa « destruction ».

*

Seul l’avenir peut dire si, face aux dispositifs de pouvoir qu’ont su mettre en oeuvre les pays les mieux nantis, les bases subsistent sur lesquelles peuvent se développer des mouvements radicaux et des entreprises de transformation sociale globale. Dès à présent, les aspects les plus aigus et les plus concrets des crises économiques manifestent l’irrationalité croissante du système à l’intérieur duquel les changements en cours se trouvent enfermés. De leur côté, la persistance et à certains moments l’intensification des résistances de tous ordres, en particulier des luttes sociales, témoignent des limites auxquelles se heurtent également les pouvoirs les mieux équipés. Ainsi resurgit périodiquement l’idée d’une rupture nécessaire, d’une polarisation de la société, capables d’orienter ces réactions et ces constatations vers des entreprises pratiques.

Cette idée, toutefois, ne prendra corps, n’éveillera un écho, ne pourra animer de telles entreprises qu’à certaines conditions : que l’on se défasse de schémas simplistes, pseudo-rationnels, soi-disant radicaux, et dont l’insuccès historique témoigne non seulement de la solidité de l’ordre établi mais aussi de leurs faiblesses propres. C’était là la direction que nous voulions indiquer, et où il nous semble qu’il faut s’engager, serait-ce au prix de la renonciation aux idées confuses de « la révolution ».

1[1] Mentionnons par exemple : C. CASTORIADIS, L’institution imaginaire de la société, I, 2 (Théorie et projet révolutionnaire), Paris, 1975 ; Esprit, septembre 1976, « Révolution et totalitarisme » (M. RICHIR, C. LEFORT, P. THIBAUD) ; C. LEFORT, divers textes dont certains repris dans Les formes de I’histoire, Paris, 1981, ainsi que la préface aux Eléments d’une critique de la bureaucratie. Paris, 1979 ; Aut... Aut, sept.-oct. 1980, n° 179-180 (L. BERTI : « Rivoluzione o...? ») et février 1981, n° 181 (A. dal LACO, P.A. ROVATTI).

2[2] Je souscrirai donc globalement a la définition adoptée par T. Ibanez, voir ici même, « Adieu a la révolution ». C’est à dessein que je n’entre pas dans la discussion du caractère plus ou moins fondamental de l’économique ou du politique.

3[3] Certains événements, comme ceux de l’Espagne en 1936-37, ou ceux de mai 1968, peuvent faire penser que des mouvements sociaux sont redevables de tout un travail culturel qui les a précédé.

4[4] Contrairement au thème de la révolution, celui du pouvoir fait l’objet de recherches multiples, et pas seulement parmi les libertaires. Cf. par ex. Le pouvoir et sa négation (A. BERTOLO, R. Di LEO, E. COLOMBO, T. IBANEZ, R. LOURAU), Lyon, 1984 ; la revue Volonté (1983/2 et 3) ; et E. ENRIQUEZ, De la horde à I’Etat, Paris, 1984.

5[5] II s’agit ici de la réédition du texte de la Boëtie chez Payot, Paris, 1976, ainsi que des commentaires qui accompagnent, notamment ceux de P. Clastres et de C. Lefort, p. 267-268.

6[6] On rappellera ici I’analyse du pouvoir par M. FOUCAULT dans La volonté de savoir, IV/2, Méthode (p. 126-127), Paris, 1976 - sans pour autant reprendre a notre compte idée d’un « caractère strictement relationnel des relations de pouvoir ». Notons que, pour Foucault, si « le codage stratégique des points de résistance » entraîne parfois un « partage binaire et massif » et « rend possible une révolution » (p. 127) il n’y a pas pour lui, et par rapport au pouvoir, « un lieu du Grand Refus, âme de la Révolte, foyer de toutes les rebellions, loi pure du révolutionnaire ». Ce « codage stratégique » reste donc, lorsqu’il se produit, entièrement mystérieux.

7[7] Y prendraient place, en particulier, toutes les considérations mystiques ou inspirées (qu’elles soient enthousiastes ou critiques) que suscitent les « communications », les « nouvelles technologies », informatisation, etc. ; tout ce qui prophétise sur un ton ou un autre l’inscription déterminante de la société future dans ce cadre contribue au même résultat idéologique.

8[8] Cf. sur ce point, L. BERTI. dans le n° de Aut.,, Aut déjà cité, ainsi que dans Primo Maggio, n° 21, printemps 1984, ou encore le débat dans Collegamenti per I’organizzazione diretta di classe, 10 et 11/12, 1984.

9[9] L’acte de décès de ces intellectuels est dressé par J.F. LYOTARD, dans Le tombeau des intellectuels, Galilée, 1984.

10[10] Cf. GUATTARI, La révolution moléculaire, Paris, 1977.

11[11] Cf. C. LEFORT, préface citée aux Eléments d’une critique de la bureaucratie, p. 10 : « Je m’avouai qu’il était dénué de sens de comprimer l’Histoire dans les limites d’une classe et de faire de celle-ci l’agent d’un accomplissement de la société. »

12[12] Je me réfère aux questions formulées par C. LEFORT dans « Questions sur la révolution et » L’insurrection hongroise " (L’invention démocratique, op. cit.).

13[13] Ne serait-ce que par Marx lui-même, et l’on sait avec quels excès significatifs. Cf. les textes rassemblés dans G. HAUPT, M. LOEWY, C. WEILL, Les marxistes et la question nationale, Paris, 1974.

14[14] Le problème est posé on ne peut plus nettement par C. CASTORIADIS, L’institution imaginaire de la société, p. 207-208 : « Cet imaginaire de la nation s’avère pourtant plus solide que toutes les réalités, comme l’ont montré deux guerres mondiales et la survie des nationalismes. »

15[15] Le problème est abordé par TALMON, Les origines de la démocratie totalitaire, 1952 (Paris, 1966).

16[16] C’est le thème de l’intervention d’O. ALBEROLA & Venise, 1984, « Abandonar o reinventar la revolucion ».

17[17] Cf. par ex. M. RICHIR, dans Esprit, sept. 1976.

18[18] Cf, par ex. M. HORKHEIMER, Théorie critique, Paris, 1978, p. 358 (1970).

19[19] H. ARENDT, De la révolution, Paris, 1967 (1963), p. 319.

20[20] Ces cinquante années peuvent paraître une durée négligeable, rapporté au cours et à la lenteur de « l’histoire universelle » ! Cela permet néanmoins à la réflexion un certain recul. D’autre part, le cours de l’histoire semble s’être notablement accéléré...

21[21] Cf. F. MINTZ, L’autogestion dans l’Espagne révolutionnaire, Paris, 1976.

22[22] Cf. les nombreux textes que P. MATTICK a consacré a la révolution allemande, par ex. : « R. Luxembourg, une rétrospective », dans Le marxisme, hier, aujourd’hui et demain, Paris, Spartacus, 1983, p. 109.

23[23] Il faudrait analyser spécialement les raisons de l’absence de mouvements révolutionnaires en Russie soviétique, et se demander en particulier s’il faut la compter au nombre des pays industriels modernes ou avancés.

24[24] Cf. C. LEFORT, « L’insurrection hongroise », op.cit.

25[25] Nous avons proposé une analyse de ce dispositif particulier de domination : cf. C. Orsoni, Le régime idéologique soviétique et la dissidence, Ed. Nautilus, Paris, 1983. Il faudrait aujourd’hui compléter cette analyse par celle des moyens qui ont permis l’élimination quasi complète de la dissidence en U.R.S.S.

26[26] Les fonctions d’intégration capitaliste et de neutralisation des tendances radicales, assumées par les organisations soi-disant « ouvrières », n’ont pas besoin être démontrées ni rappelées ici.

27[27] A. TOURAINE, Le retour de I’acteur, Paris, 1984.

28[28] Les réflexions qui portent sur la position exemplaire de P. MATTICK, telle qu’elle s’expose par ex. dans Le marxisme hier, aujourd’hui et demain, op. cit., p. 28-32, valent à fortiori pour toutes les positions moins profondes ou moins cohérentes.

29[29] Ibid., p. 32.

30[30] Ibid., p. 30.

31[31] P. 31

32[32] P. 32 : En effet, « le changement historique reste un processus extrêmement lent... surtout mesuré a l’aune d’une vie humaine ». On peut d’ailleurs se demander si cette unité de mesure n’est pas la seule qui importe vraiment...

33[33] Cf. par ex. l’analyse de la grève des mineurs anglais, par H. SIMON, I.R.L., n" 58, janvier-février 1985.

34[34] Bien entendu, il ne s’agit pas ici de la Fraction Armée Rouge (R.A.F.) ni des tentatives similaires qui auraient plutôt l’effet inverse de celui quelles prétendent obtenir, et renforcent la cohésion et le consensus au lieu de les désagréger. Cf. sur ce problème L’autonomie en France et en Italie, Paris, Spartacus, 19... II s’agit de la contre-société de ceux qui s’efforcent de « vivre autrement ». Cf. Ils vivent autrement, par I. DIENER, Paris. 35[35] II en existe au moins une autre, qui est celle de la guerre. Elle relève d’une analyse (et de moyens d’analyse) dans laquelle on n’entrera pas ici.


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