En somme Rancière devrait payer pour un pêché originel de jeunesse, et aussi être déclaré coupable pour ce qu’il ne dit pas (il ne cite pas Castoriadis).
C’est un peu gros. A ce compte là, il y a du monde à soumettre à la question. Etre responsable de ce que l’on n’a pas dit me semble assez détestable car c’est un puits sans fond, celui du soupçon et de l’aveu qu’il est loisible d’appliquer à tout le monde.
Je pense personnellement qu’il y avait beaucoup mieux à faire que la Gauche prolétarienne à l’époque où elle a existé. Mais les délires de cette époque là n’étaient pas que “maoïstes” : on a eu aussi des délires structuralistes, linguïstico-sémioticiens, désirants, situationnistes, ultra-gauche, notamment ceux qui ne voyaient rien de bien extraordinaire ou de particulier dans l’extermination des Juifs… Et j’en passe.
Le plus important n’est pas que Rancière ait été à la GP mais sur la manière dont il en est sorti. En tout cas beaucoup mieux que la plupart des cadres, intellos, qui sont passé par là.
Et, c’est mal d’avoir enseigné à Vincennes ?
J’y ai mis les pieds deux fois vers 1976 (j’étais alors lycéen), pour assister à un cours-conférence d’un enseignant que j’aimais bien qui s’appelait Jean-Michel Palmier, un germaniste qui travaillait sur l’expressionnisme allemand, la montée du nazisme, W. Reich, W. Benjamin… C’était passionnant.
J’ai personnellement découvert Rancière en découvrant « Les Révoltes Logiques », vers 1976. J’ai le souvenir d’un courant d’air frais dans les publications politiques ou “théoriques” de l’époque. Il y a avait aussi Jean Borell, Arlete Farge, Geneviève Fraisse, Danièle Rancière… Je crois qu’ils et elles étaient dans un vrai travail de recherches et d’interrogations. Moins de grands discours totalisants sur la capitalisme, sur le social, l’économie, la classe… mais un travail d’enquête, de consultation des archives sur la parole ouvrière et les utopies.
Et puis quand même : La GP, Vincennes, c’était quand déjà ? On est presque en 2010, non ?
Je crois d’ailleurs que dans une interview, Rancière fait référence à Castoriadis pour dire en quoi il peut se sentir proche (le pouvoir instituant de la démocratie) et en quoi son propos est autre.
Je crois que le propos de Rancière est plus de faire droit à la politique (démocratie) contre la philosophie, contre la prétention de la philosophie politique à dire le vrai et le faux, le bien et le mal sur la manière de faire de la politique (= gouverner). En ce sens, par certains côtés, je le rapprocherais plus d’Hannah Arendt, ou du moins de l’Hannah Arendt vue par Miguel Abensour (dans « Hannah Arendt contre la philosophie politique », Sens&Tonka) : contre le platonisme et les philosophes-rois…
Le combat « anti-institutionnaliste » n’est pas pour moi « atavique » mais profondément démocratique. Car si aujourd’hui il est possible, audible, de critiquer le pouvoir des riches, le gouvernement des possédants, il est beaucoup plus difficile de s’en prendre au pouvoir des savants, des experts et des compétents : c’était d’ailleurs me semble-t-il là un des éléments qui ont contribué à mettre à jour la position critique de SoB sur le capitalisme : le pouvoir des compétents.
Plus et mieux que faire le procès des personnes, de ce qu’il ont fait et de ce qu’ils n’ont pas dit, voyons ce qu’ils disent et en quoi les idées et les pensées mises en circulation aident ou pas à élaborer une (des) paroles critiques de la domination et à faire quelques propositions pour œuvrer à un nouvel imaginaire social-politique qui ne confonde pas démocratie et pouvoir de l’oligarchie.
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