Seule la peur...

vendredi 15 mai 2009
par  LieuxCommuns

Seule la peur...
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SEULE LA PEUR...

L’élection de N. Sarkozy provoque un malaise diffus dans l’opinion alors que le processus électoral qui l’a amenée à la présidence de la république passe pour être exemplaire. L’homme inquiète par son style, intimidant et provocateur, son bilan au ministère de l’intérieur, caractérisé par un mépris ostensible des libertés publiques, et son projet de société, annonciateur d’une ré- gression sans précédent. Mais l’effrayant est surtout son ascension fascinante, basée sur une instrumentalisation cynique des institu- tions, et de leurs failles, au service d’une soif de pouvoir qui n’hésite pas à légitimer et nourrir les positions de l’extrême-droite. L’inquiétude actuelle tient alors au sentiment que le jeu républicain se fait de plus en plus contre les principes démocratiques...

Une nouvelle époque semble s’ouvrir, caractérisée par le sentiment que plus rien ne paraît faire obstacle à une mise à sac programmée de la société par les puissants - et il manque même le terrain d’expression d’une telle alarme. Les partis et syndicats complètement intégrés aux mécanismes institutionnels classiques ne peuvent qu’agir et parler dans la perspective des prochaines échéances électorales : les « mouvements sociaux » n’ont eu jusqu’ici comme seuls débouchés politiques que le retour aux affaires d’une gauche dont la décomposition aujourd’hui aveuglante plonge ses racines dans l’histoire du XXième siècle. Les seules réactions collectives échappant à ce carcan se condamnent elles-mêmes : les manifestations sauvages très durement réprimées, deviennent en se répétant un aveu d’impuissance devant l’ampleur de la débâcle. Le basculement ressenti n’est pas tant du, alors, à l’irruption d’une extrême-droite au pouvoir qu’à l’absence totale d’adversaire crédible pour lui faire face.

Cet événement, finalement, ne fait qu’accélérer cet effondrement des repères qui jusqu’ici structuraient la vie politique française. Le maintien des apparences cache l’ampleur du délabrement, et cela peut continuer encore longtemps. Car la participation massive aux élections montre parfaitement que plus la situation s’aggrave, et plus la population demande à l’oligarchie de s’en oc- cuper. L’adhésion profonde à une société de consommation plus que jamais incapable de tenir ses promesses se double maintenant d’une terreur sourde devant un avenir qui s’annonce plus incertain que jamais. Le repli sur soi, l’indifférence aux affaires commu- nes, la fuite dans le divertissement et le cloisonnement généralisé rongent depuis au moins un demi-siècle tout ce qui reste de vie sociale. La peur qui structure tous les rapports sociaux est désormais le principal outil du pouvoir et constitue le handicap majeur pour la création d’une véritable volonté populaire porteuse de projets politiques.

Ce qui est urgent, ici et maintenant, c’est de saisir l’ampleur du tournant actuel, pas d’attendre les premières réformes ou l’idée-reine pour donner sens à l’événement. Aucun discours idéologique hérité n’est en mesure de faire pièce aux temps présents ; ces masques tristes n’ont plus comme fonction que de cacher leur vide et doivent laisser place à l’élaboration collective de l’intelligence de la situation. De la même manière, le travail sur les projets de loi à venir n’est indispensable que s’il échappe à l’immobilisme et au corporatisme, c’est-à-dire s’il œuvre pour un réveil collectif et permet à chacun de sortir des procédures et des identités fixées à l’avance. Et aucune fixation sur la personne du président ne servira si ne sont pas mis à nus tous les mécanismes sociaux et institutionnels qui l’ont porté au pouvoir. Le terreau sur lequel prospère le nihilisme fascisant qui s’étend aujourd’hui est un état de détresse générale qui passe pour la normalité même : Parvenir à s’exprimer, à délibérer, à décider et à agir ensemble est devenu une prouesse rare : s’éduquer mutuellement et patiemment en ce sens doit devenir le centre cardinal de toute activité.

Les perspectives que l’on peut espérer pour les mois qui viennent sont à la fois ambitieuses et modestes, à l’encontre du révoltisme creux auquel nous habituent la gauche et ses extrémités. Les attaques tous azimuts du gouvernement de N. Sarkozy se- ront brutales et décisives, et leur cible est une population qui n’est aujourd’hui absolument pas préparée à y faire face. Les « mouvements sociaux » prévisibles ne parviendront au mieux qu’à maintenir le statu quo sur quelques mesures significatives si une véritable contre-société ne se généralise pas rapidement. Il ne peut s’agir de valoriser les bandes, les groupuscules ou les maf- fias ; le désordre qui s’installe s’appuie sur ces micro-féodalités qui prônent la déglingue. La désobéissance n’a de sens que dans une entente populaire, ensemble d’actes quotidiens de solidarité active visant le bien commun, de réapprentissages patients des gestes élémentaires de la vie collective, de volontés de sortir, chacun avec tous, de nos misères communes. C’est une manière de vivre en société qui doit changer, et cette auto-transformation n’est ni une entreprise impossible, ni une simple décision à prendre : elle est toujours déjà à l’œuvre, réduite au silence par la volonté que rien ne bouge.

La tenue d’assemblée générale régulière et la constitution de groupes de travail, où toute parole puisse être entendue, discutée, reprise par tous, peut être un moyen pratique par lequel chacun reprend possession de la réalité et puise le courage de l’affronter. Les repères les plus élémentaires ont été balayé par trente ans d’émiettement des individus, des idées et des actes, au point que de telles expériences où la société se retrouve elle-même dans sa diversité deviennent à la fois très précieuses, très diffici- les et fugaces. Ce n’est certainement pas le nombre qui importe, ni le temps qui manque ; ce qui est requis, ce sont des volontés d’émancipation individuelles et collectives, qui n’aient peur ni de leurs faiblesses ni, par dessus tout, de leurs propres forces. Car la puissance libérée par une réunion de personne travaillant de concorde, assumant leurs conflits et visant l’autonomie est un des plus impressionnant levier de l’histoire. Il est possible que de tels oasis s’insinuent dans le désert actuel et perdurent, s’affrontant perpé- tuellement aux manipulations, à la bêtise et à la sclérose. La réussite ou l’échec dans l’exercice de l’égalité n’est évidemment jamais garanti par rien ni par personne : seule la peur de pénétrer dans des terres inconnues peut empêcher quiconque de prendre ses res- ponsabilités d’homme ou de femme libre.

St Denis, 12 - 13 mai 2007


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