Ce texte fait partie de la brochure n°24 « Le mouvement des gilets jaunes »
Surgissement populaire et démocratie directe en germe
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Elle est intégralement téléchargeable dans la rubrique brochures
Sommaire :
- Introduction : la révolution précipitée — ci-dessous
Le mouvement des gilets jaunes s’oppose presque en tout à celui de Mai 68 : une dynamique massive et populaire, issue des grandes périphéries urbaines, où la jeunesse est discrète, gagnant progressivement en amplitude, et qui vise moins à transformer le monde qu’à empêcher qu’il ne se défasse.
Pourtant la convergence est évidente : il est toujours question de s’opposer à la direction prise par la société, de reprendre le contrôle de nos existences, de mettre en place une souveraineté collective, le pouvoir du peuple – une démocratie digne de ce nom. Et, là encore, ce surgissement laisse loin derrière lui tous ceux qui babillent leur incompréhension ; médias, partis, syndicats, associations, universitaires et groupuscules, tous imbibés de ce gauchisme culturel exhalé du cadavre embaumé de Mai 68, piétinent, pataugent, tâtonnent, ânonnent, sermonnent, invoquant sans fin le « péril brun » qui donnerait enfin consistance à leurs délires – à leurs désirs. Les gilets jaunes bousculent tout ; conventions admises, parcours déclarés, marques déposées, tenues correctes, sociologie putrescente, militants installés, discours tout faits, idéologies prêtes-à-penser, tout ce politiquement correct et cette bien-pensance que les « révolutionnaires », gardiens de la « révolte des élites », défendaient avec plus de hargne encore que l’oligarchie.
Quant à nous, les gilets jaunes nous sont apparus dès le début, passée la surprise, comme une évidence. Notre activité depuis la mi-novembre, en partie visible sur le site, en témoigne : publications fréquentes, revue de presse continue, blocages et manifestations à Paris, Nîmes, Bordeaux, etc. Les textes réunis dans cette brochure improvisée ont tous été écrits en l’espace d’un mois et sont ici présentés dans leur ordre chronologique. Rédigés à la hâte, parfois en quelques heures, ils portent la marque, souvent maladroite, de l’actualité mais pas – du moins le lecteur en jugera – celle de l’obsolescence.
Évident, le mouvement des gilets jaunes ? Oui, mais certainement pas transparent, univoque, prévisible, monolithique ou sans ambiguïté ni incertitude, et évident pour cela même : mouvement absolument vivant surgi d’une société moribonde, fondamentalement indéterminé car se cherchant lui-même. Sur le fond, les choses sont claires : les gens qui le composent ont cru au mode de vie qui s’imposait à eux et constatent amèrement que les promesses ne seront pas tenues. Et, effectivement, elles ne le seront plus jamais. Le moteur de leur colère n’est donc pas près de s’arrêter, quelles qu’en soient les expressions futures, et ce d’autant plus qu’il n’existe rigoureusement aucune solution immédiate. Leur révolution est à venir et exigerait, pour être menée à bien, cette chose qui n’existe plus, et qu’il va bien falloir, pourtant, réinventer ; du temps. Tout cela, ils le sentent intuitivement, comme ils comprennent progressivement que la démocratie directe qu’ils caressent n’est que ce moment où ceux qui sont concernés formulent enfin les problèmes à leur façon…
Le mouvement des gilets jaunes est l’instinct de survie d’un peuple qui ne veut pas mourir. C’est pour cela que, mouvant, hétéroclite, polymorphe, ouvert et indéterminé – bref vivant, populaire et profondément humain – s’y reconnaissent tous ceux qui ne se sont pas résignés aux catastrophes en cours.
Lieux Communs – 31 décembre 2018