Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives

vendredi 17 juin 2011
par  LieuxCommuns

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Les idées abordées dans ce texte sont développées ailleurs sur ce site, notamment dans la rubrique tract où on trouvera notamment « Crise économique et transformation sociale », « Pour des assemblées générales autonomes » et « La démocratie contre les élections ».

Sur le même sujet, on lira notre brochure consacrée au « mouvement grec pour la démocratie directe »

Traduction disponible en Ἀρχαία Ἑλληνική et in English


Tract Indignés
Tract Indignés
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Pour la première fois depuis longtemps en Europe, des mouvements, ceux des « indignés », posent en actes la question de l’action autonome des gens et la volonté de renouer avec des valeurs comme la convivia­lité, l’entraide, la solidarité. A travers la revendication d’une vie digne d’être vécue, ils es­quissent aussi la question d’un sens à redonner à l’existence dans la société actuelle. Ils ne peuvent que provoquer la sympathie et l’implication chez tous ceux qui refusent la délirante course de l’humanité contemporaine. Et c’est à ce titre qu’il est du devoir de chacun de pointer les contradictions de ces mouve­ments pour en dépasser les faiblesses et les limites.

Le mouvement des indignés réunit principalement des citadins issus des classes moyennes dé­classées (chômeurs / précaires diplômés) ou craignant de le devenir. Il rencontre peu d’écho dans les mi­lieux plus popu­laires. Impulsé via les réseaux sociaux, ces regroupements affinitaires autour d’une notion censément partagée (l’indignation), refuse tout patronage politique ou associatif. Egalement disqualifié, le lieu de travail, lieu totalitaire, d’où les chômeurs sont exclus, où les pré­caires côtoient statutaires et/ou carriéristes et où la parole contestataire est le monopole de syndicats ven­dus au pouvoir.

Mais la notion même d’« indignation » ne dit rien sur ce qui la cause, et cela est gros de malen­tendus en série. En Tunisie et en Egypte, un mot d’ordre faisait consensus ; « dégager » le despote avec pour horizon l’avènement d’une démocratie à l’occidentale. Mais en Europe, c’est la démocratie à l’occi­dentale elle-même qui est devenue une impasse. Face à cela le mouvement des indignés oscille entre deux tendances, que le terme de démocratie réelle ne résout pas. La première veut seulement cor­riger les excès du système. Ses revendications portent sur la moralisation de la vie publique, la qualité de vie, la juste ré­partition des richesses, le droit au travail, la justice, la réforme de l’économie, etc. La seconde remet en cause les fondements de nos sociétés et pose les prémisses d’un projet de changement radical : autoges­tion, autonomie, démocratie directe, autant de pratiques de terrain qui ne sont, semble-t-il, revendiquées nulle part pour toute la société – sauf à Athènes, sur la place Syntagma.

Du coup, le mouvement manque d’une colonne vertébrale, d’un axe minimal partagé par le plus grand nombre, et qui permettrait de s’adresser clairement au reste de la popula­tion. Aucune de ces deux tendances ne parvient à l’emporter. Le projet de société que chacune d’elles pose en filigrane est problé­matique.

Ceux qui dénoncent les excès voudraient une espèce de retour en arrière où le système était cen­sé être mieux régulé, les richesses mieux réparties. Or, même avec une redistribution égalitaire de la pro­duction, le retour à une société de plein emploi basée sur une croissance forte telle qu’on l’a connue lors des trente glorieuses est impossible : crises énergétiques, bouleversements écologiques et pénuries ali­mentaires dessinent un horizon immanquablement frugal. Le deuil de la société d’abondance doit être fait, et il nous semble, à nous, que la seule manière d’éviter une économie de guerre au profit des puissants soit d’exiger l’égalité des revenus pour tous, donc un changement radical des mentalités.

La difficulté pour ceux qui, comme nous, veulent « sortir du capitalisme » et de sa « démocratie repré­sentative » réside dans l’invention des formes de la démocratie réelle. Les mettre en acte par inter­mittence et à petite échelle sur une place publique est une chose. Les étendre à tous les secteurs de la so­ciété en est une autre. Cela impliquerait qu’une part importante de la population souscrive à des valeurs comme la liberté individuelle et collective, l’égalité, l’autogouvernement, qui favorisent et approfon­dissent une autonomie autant individuelle que collective. Et cela ne peut qu’avancer de concert avec le dé­veloppement progressif de procédures de prise de décision collective. Les difficultés que rencontrera une telle tentative seront énormes. Mais l’incapacité des mouvements actuels à prendre une direction claire risque, à terme, de mener à l’échec.

L’ambiance festive peut nous faire oublier pour un temps le malaise et l’indignation qui nous ont fait descendre dans la rue, et nous éviter la confrontation aux problèmes énormes qui attendent ceux qui veulent réellement un changement radical de société. Mais elle ne nous empêchera pas de retomber dans l’apathie et l’indifférence, jusqu’à la prochaine colère. Nous risquons de nous résigner à la catastrophe en cours, et de contribuer aux opérations de récupération qui ne manqueront pas de vider les mots de démo­cratie, d’autonomie et de liberté de leur contenu.

Cette oscillation entre deux tendances s’exprime de manière très concrète : un discours morali­sant et un rappel des valeurs fondamentales de la démocratie qui s’adressent, sous forme d’injonction, à l’oligarchie politique. Cela nous amène à une question qui n’est pas tranchée par les indignés : doit-on encore attendre quelque chose de l’oligarchie ? Ce discours moralisant conçoit par exemple la corruption comme un symptôme du régime oligarchique actuel. Mais il est clair, au moins depuis le hold-up mondial qu’est la « crise économique », que la corruption et les pratiques mafieuses sont devenues le régime social du sys­tème lui-même. L’oligarchie n’a que des plans d’austérité à proposer aux peuples, la déchéance so­ciale pour (presque) tous et une planète rendue inhabitable. Elle entend continuer de piller et de détruire tout ce qui fait sens pour nous, sans offrir d’autres perspectives que le sauve-qui-peut. Ses valeurs cen­trales, la consommation, l’accumulation, le contrôle et la puissance comme finalités de l’existence hu­maine se propagent dans tous les pays : s’y opposer en tous lieux pour faire valoir un véritable projet de société, c’est s’affronter aux réflexes qui sont, aussi, les nôtres.

Soit on attend quelque chose de l’oligarchie, ce qui est une façon de lui reconnaître une légitimi­té, soit on la considère comme illégitime, et il faut la disqualifier sans appel. Cette question a des implica­tions immédiates : en Espagne, par exemple, la répression policière a ravivé le mouvement, et l’absence de réaction du pouvoir l’a affaibli. Doit-on rester ainsi suspendu aux faits du Prince ? Cette question se pose aussi pour les élections : si l’on consi­dère que le vote ne sert qu’à légitimer un pouvoir arbitraire coupé de la société, il faut en tirer explicitement les consé­quences et s’abstenir aux élections.

D’autres contradictions et sources de malentendus doivent être soulignées.

  • La revendication d’une assemblée constituante est ambiguë. Elle peut aussi bien se concrétiser par un ravale­ment de façade permettant aux classes dirigeantes d’asseoir leur pouvoir, comme en Tunisie ac­tuellement... que par l’affirmation d’un pouvoir alternatif au pouvoir existant, comme en 1789. Deux conceptions aux anti­podes l’une de l’autre.
  • Il est absurde de réclamer la souveraineté du peuple. Si le peuple est sou­verain, il lui faut l’in­carner dans d’assemblées générales souveraines qui s’érigeront en seules instances de prise de décisions poli­tiques et qui proclameront l’abolition de tout pouvoir étranger à elles.
  • Il est contradictoire de chercher à renouer avec des formes de relations sociales directes et d’encen­ser les réseaux sociaux, qui ont accompagné l’aggravation de la solitude et du zapping. L’émancipation, c’est aussi, et d’abord, un regard critique sur les formes 2.0 d’aliénation et d’auto-aveuglement. Un mou­vement social a-t-il besoin de se mirer sur le web pour exister ? Quel recul a-t-on par rapport à des images forcément subjectives, aux exagérations, aux rumeurs, aux falsifications qui peuvent exister aussi bien chez les partisans via les réseaux sociaux que chez les détracteurs au JT du soir ?
  • le mouvement a d’emblée rejeté les partis et les syndicats. Mais lorsqu’il s’est agi d’élaborer une plate-forme de propositions, il n’a pas franchi le stade des généralités et des déclarations d’intention. Pour éviter le piège de sa récupération, il a posé les formes de l’autonomie sans en exprimer les termes. Mais aussi efficace que soit cette auto-organisation en actes, elle ne peut masquer éternellement l’absence de formu­lation d’un projet politique clair et discutable.

Pour nous, ce qui fonde l’oligarchie, ce qui la fait exister, c’est la soif de pouvoir et l’accumula­tion illimitée généralisées à toute la vie sociale. On ne peut entraver la première qu’en organisant toutes les institutions autour d’assemblées souveraines, structurées autour de mandats révocables et de rotation des tâches. Et on ne peut se débarrasser de la seconde qu’en établissant ensemble une égalité stricte des revenus, et une redéfinition collective des besoins et de ce qui doit être produit. Tout cela doit être posé, débattu, critiqué explicitement.

Il est évident que si la population met en place des structures démocratiques, elles seront en conflit avec les institutions « représentatives » existantes. Plus elles s’enracineront et se renforceront, plus la ré­ponse de l’oligarchie sera violente. Mais quitte à voir nos vies se dégrader, quitte à rentrer dans une époque de confrontation dure, quitte à subir une violence de toute façon inéluctable, autant que ça en vaille la peine.

Juin 2011 - Lieux communs

Collectif politique indépendant pour une auto-transformation de la société

lieuxcommuns gmx.fr - www.magmaweb.fr


Commentaires

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Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives
mardi 20 mars 2012 à 13h10 - par  Flo

très intéressant article. Quelques remarques : n’étant pas vraiment impliqué dans ce mouvement je n’en entend plus tellement parler en ce printemps 2012 : est-il toujours aussi puissant, aussi vif qu’en 2011 ? Les médias et leurs supports (TV, radios, Web) n’en parlent jamais... Ppour ce qui est des outils web 2.0 je suis d’accord avec votre méfiance : il ne faut pas oublier que la plupart de ces systèmes techniques appartiennent à des entreprises qui peuvent fermer le clapet aux formes d’expressions selon leurs intérêts ...

encens Indien à tous les parfums d’encens

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mercredi 29 août 2012 à 13h34 - par  Lo

pour répondre à « Flo » : dans le Sud de la france, à perpignan précisément, j’ai rencontré un peu par hasard les « indignés » locaux : ils étaient...2 , ils se réunissent tous les mardi sur la même place, sans aucun mot d’ordre, juste à être présents et discuter avec les gens qui viennent à eux. Ils ont un modèle d’inspiration ce sont les mères en Argentine qui ont fait la révolte des « casserolles » pour demander des nouvelles de leurs enfants disparus sous la dictature : pendant des décennies elles se sont réunies en un même lieu, avec obstination.

la meilleure filstration passe par lesfiltres à diatomée qui régulent parfaitement votre bassin de piscine
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Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives
samedi 5 novembre 2011 à 13h10 - par  habib kerchaoui

De toute maniere, on ne peut pas dire vive l anarchie vive le désordre.La société est dans une impasse qui est le résultat de ses intellectuels paresseux.Depuis logntemps on a découvert que la démocratie proneé par le systeme impérialiste et socialiste ne mene à rien sauf à la débacle qu on vit aujourd hui. Y a t il une autre alternative je ne sais pas.Le peuple n a plus confiance c est pourquoi il ne se dirige plus vers les bureaux de votes.Son intuition lui a fait comprendre que cet acte considéré par certains comme symbole de civisme le mene au suicide puiqu il produit le meme systeme qui ne fait que prolonger sa misere à tous les niveaux.Donc peut on dire que le peuple méprisé par ses intellectuels retrouve confiance en lui meme et part tout seul à la conquete d un pouvoir auquel il n a été jamais intié.Bref on est dans une aporie.Mais le génie humain a pu toujours retrouver son équilibre mais cette fois ci il ne sera pas aux dépens du peuple c est pourquoi rien ne presse chers et sacrés intellectuels.

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Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives
lundi 18 juillet 2011 à 12h35 - par  Le meme (toujours) re-motivé

Petrus :

Désolée par le retard, mais je ne suis pas sure de vouloir m’engager dans une reflexion profonde sur ces questions.. sur internet :-).

Par contre ça m’a fais beaucoup réfléchir et dans ces derniers jours j’ai pu croiser sur la question avec des voisin-e-s, des ami-e-s... même avec quelqu’unE venu nous visiter de Barcelona, assez sage dans « les rapports au lumpen ».

En fin, je ne suis pas d’accord avec toi, et surtout je ne trouve pas la generalisation comme pertinent, car du coup « le lumpen » est pour moi -oui, petit bourgeois fasciné- loin d’y intérioriser les valeurs dominants de la faisons ou tu l’as suggéré.

Je partage le besoin de rester attentifs sur les questions de prise du pouvoir pour des intérêts particuliers, mais je ne trouve pas que le lumpen soi là plus dangereux que les militant-e-s pre-existant-e-s ou certains « nouveau militant-e-s issus des classes populaires » qui cherchent plutôt un début carrière dans la politique. Pour moi l’absence de civisme, les engueulades ou le pétage des plombes sont loin d’y être un alivis suffisant pour y foutre quelqu’unE dehors

Je trouve « classiste » d’y mettre une catégorie de la population dans une caisse et je aurai besoin dans toutes les cas de « situer » ton analyse dans ta propre expérience, pour pouvoir entendre si le refus des lumpen que tu préconise est issus d’une expérience ou plutôt d’une absence d’expérience, assez pressent ce dernier dans le milieux militants « bienpensants » qui trouvent trop compliquée les rapports aux couches les plus cramés et enragées de la population.

Dans le deux cas je repect ton avis, meme si je ne le partage pas, et je me montre content de pouvoir envisager des liens horizontales et autoorganisatives avec des personnes (de fois un peu) inciviques et (plutot très) indignées.

Sur ton troisième point beaucoup à dire, mais je me limiterai à remarquer que tu me fais penser aux arguments du Messie Insu-bourgeois dans « Germinal » - le film. Je suis d’accord dans l’absolut mais là aussi il faudra faire attention a pas se faire avoir par des argumentaires petit-bourgeois, bobo-decroissantes et compagnie. Surtout pour une question de respect et de reconnaissance à la galère vécu par certains et pas par d’autres.

Voilà, avec tous mes respects et les meilleurs de mes salutations....

Aio !!!

Le même (toujours) re-motivé.

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Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives
lundi 4 juillet 2011 à 11h45 - par  LieuxCommuns

Ayant participé pendant 18 jours au mouvement athénien, je trouve le dernier commentaire peu pertinent, puisqu’il néglige certains points importants. En plus, je n’arrive pas à comprendre pourquoi c’est au mouvement qui doit revenir la responsabilité du fait que la société grecque, dans sa majorité, ne participe pas aux manifs et aux mobilisations. Il y a eu plusieurs appels, de la parte de l’AG de Syntagma, vers la direction d’une coordination avec les AG locales ou vers la direction de l’organisation d’une grève générale et de la participation des immigrants aux mobilisations et aux AGs. Le fait que tout ça ne semble pas trop marcher, pose de problèmes beaucoup plus vastes, qui ont affaire avec la tradition politique grecque en général et son manque d’éléments démocratiques et radicaux. De ce point de vue, la version grecque du mouvement dépasse le cadre que même le texte initiale du group propose comme outil interprétatif, puisqu’il y a des différences considérables entre la société grecque et les sociétés proprement occidentales en ce qui concerne leur tradition et leur attitude politiques. Compte tenu les spécificités gecques en question, même le fait qu’un mouvement parle tant de démocratie directe, est une évolution assez positive et importante. On n’a vu rien de pareil péndant le mouvement français d’Octobre dernier ou pendant les mobilisations à Wisconsin, par exemple.

Qu’est-ce que ça veut dire que le mouvement prend de décisions qu’il ne réalise pas ? Les deux décisions « pratiques » principales (c’est-à-dire des décisions qui ne concernent pas seulement la gestion du campement et des diverses comités et groupes délibératifs de l’AG elle-même) étaient d’essayer d’encercler le parlement afin d’empêcher le vote du nouvel plan paquet de mesures d’austérité. Cela à été réalisé deux fois : le 15 et le 29 juin. Toutes les deux fois, le plan initial fut suivi, puisqu’il y a eu une coordination assez bonne, les gens sont allés aux divers endroits où l’AG avait décidé de faire de blocus et les AGs locales sont venues en manif par des divers quartiers d’Athènes. Tout les deux fois et notamment la deuxième, les gens ont été persuadés et combatifs et ils se sont bagarrés avec les CRS pour maintenir les blocus et les barricades. Et ce n’est pas du tout un hasard si la deuxième fois on a affronté une brutalité policière inouïe pour les standards grecs. La police a utilisé tous les moyens à sa disposition pour garantir le libre passage des députes vers le bâtiment de l’Assemblée nationale (les CRS ont même jeté des lacrymogènes et des gaz asphyxiantes à l’intérieure de la station de métro de Syntagma, ils ne permettraient pas aux infirmiers de transporter les blessés aux hôpitaux, ils lançaient des pierres etc.). Malgré la brutalité des CRS, les gens ont essayé de protéger la place de Syntagma, en persistant les offensives de la police pendant presque 7 heures. A l’entretemps les travailleurs du Métro avaient décidé, pour la deuxième fois consécutive, de ne pas faire grève (même s’il était la première fois où il y avait une grève générale de 48 heures en Grèce) afin de faciliter le déplacement des manifestants, après la demande de l’AG de la place. En même temps, en coopérant avec les volontaires de la Croix Rouge, ils ont organisé de « brigades » des infirmiers qui aident et soignaient les blessés.

Je ne veux pas dire que tout ça montre qu’on soit dans une période révolutionnaire ni, non plus, que ça démontre qu’il s’agit de quelque mouvement extrêmement radical voire révolutionnaire. Or, il ne faut pas, de l’autre part, mépriser ce qui se passe, en proposant de descriptions qui n’ont pas grande chose à faire avec la réalité. J’ai voulu jusque montrer que loin d’être un simple truc bobo ou petit bourgeois, qui ne fait autre chose que prendre de décisions qu’il ne réalise jamais, il s’agit d’un mouvement qui, malgré ses défauts, sa confusion politique etc., fait des efforts de s’autoorganiser (à la mesure du possible, compte tenu ses défauts politiques) et essaie de réaliser ses déclarations. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on le présent comme quelque chose de parfaitement irresponsable et négatif. On ne combat pas le manque de lucidité qui caractérise les célébrations acritiques en allant à l’autre extrême.

Nicos (du collectif Lieux Communs)

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Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives
lundi 4 juillet 2011 à 11h44 - par  LieuxCommuns

Voici quelques remarques de ma part. Un peu en retard mais bon.

Je suis d accord avec le commentaire précédent sur le fait que les lumpen attirent les jeunes d’origine bourgeoise qui se veulent révolutionnaires (curieusement ils répugnent aux petits bourgeois.) D’ailleurs les gens ne tombent pas du ciel. Mais ils ont un parcours personnel et une histoire. L’effort de repérer leur provenance de classe par exemple ou leur parcours politique peut toujours nous éclairer sur ce qu’ils sont en train de faire. Pourtant, je dirais pas qu’il faut les chasser, sauf s’ils entravent le développement du mouvement ou le déroulement des procédures etc..

Mais il ne faut pas trop insister là-dessus. Leur appartenance aux classes moyennes est une déduction empirique de notre part, toujours sujette à l’erreur (pourtant dans le cas de la Grèce nous pouvons être plus surs : il s’agit en fait, dans leur grande majorité, de petit bourgeois et de jeunes de classes moyennes qui, en Grèce, sont surs de leur « déclassement »). Ce qui importe vraiment c’est leur orientation politique : Dans celle-ci, la composante reformiste domine.

Il parait que la contradiction dont nous parlons ne se reflète pas dans une tension entre pragmatisme et idéalisme, mais plutôt dans un mélange d’apraxie et d’illusion. Ca fait plus d’un mois qu’ils se rassemblent, ils ont échoué d’approfondir et d’étendre leur mouvement et ils n’ont rien fait sur le plan pratique - sauf de regagner les places âpres les interventions des flics. Et pour les Grecs et ils n’ont pas été très nombreux sur la place de la Constitution le 29 juin, journée de vote du paquet de nouvelles mesures d’austérité. Tout cela ne les empêche quand même pas de parler de démocratie réelle (ou même directe), comme si un tel régime se concrétiserait seulement dans des procédures de prise de décision et dans des votes de résolutions tous les soirs qui ne sont bien sur pas appliques et qui, souvent, s’adressent aux gouvernements et à tous ceux qui sont censées être l’origine de tous nos maux…

Enfin, personnellement j ai l’impression que ce mouvement se veut intouchable. Ils récusent toute critique et contournent toujours le fond des arguments adverses.

Sitougr (du collectif Lieux Communs)

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Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives
lundi 4 juillet 2011 à 11h42 - par  LieuxCommuns

Merci bien pour ces informations et réflexions. Dans notre article, nous ne parlons pas que de la France : nous avons essayé de définir des traits communs aux mouvements grec, espagnol et français. Concernant l’Espagne, vous en savez certainement plus que nous, qui n’avons pas eu l’occasion d’aller voir sur place. Nous n’avons basé notre analyse que sur des informations recueillies ici et là, ainsi que de quelques témoignages directs.

Pour reprendre vos trois points critiques :

  • Il ne nous paraît pas inconcevable que des gens des milieux populaires participent à des campements dans certaines villes : nous écrivions dans le tract que les mouvements étaient « principalement » composés de classes moyennes paupérisées ou en voie de l’être. Ce brassage ne peut qu’être réjouissant. Cependant dans trois des exemples que vous donnez sur quatre, il semble s’agir de milieux populaires bien particuliers, le lumpenprolétariat : des gens qui sortent de prison (c’est bien ça ?), un junkie (« yonqui »), la fille d’un braqueur et d’une prostituée. Il est possible que certaines de ces personnes aient, individuellement, de réelles qualités et apportent quelque chose au mouvement. Mais ce que vous décrivez et qualifiez de « renversement des rôles » nous évoque plus une prise de contrôle de certains campements par ce lumpen profitant de la fascination qu’il exerce sur les petits-bourgeois et de l’absence, justement, du reste de la population paupérisée. Sans doute pouvons-nous nous tromper en projetant une situation courante en France, il est difficile de juger à distance. Mais si nous étions sur place, nous proposerions peut-être d’expulser les « cailleras » du campement, qui ne cherchent souvent qu’à prendre le contrôle de la situation pour des intérêts particuliers. C’est plutôt ça qu’on faisait « dans les mouvements révolutionnaires depuis toujours » : au XIXe siècle, quand les ouvriers français montaient une barricade, ils fusillaient la racaille de leur quartier avant de s’affronter aux soldats. Ils n’avaient pas envie d’être poignardés dans le dos par des gens sans morale que le premier flic venu pouvait soudoyer… Le lumpen, dans sa mentalité, ses pratiques, son intégration au système économique, a infiniment plus d’affinités avec les capitalistes qu’avec les milieux populaires en révolte [1].
  • Nous sommes d’accord avec vous pour dire que ces mouvements en sont à leurs balbutiements. Nous savons combien il est difficile de s’auto-organiser [2]. Mais cela ne nous dispense pas de toute critique, bien au contraire. Lorsque – pour une fois ! Enfin ! – un mouvement social semble vouloir proposer autre chose que les éternelles impasses politiques et syndicales, il est de notre devoir de l’encourager, mais aussi de parler de ce qui, selon nous, risque de le faire retomber dans ces impasses : les illusions, les malentendus, etc.
  • Nous sommes d’accord avec vous lorsque vous dites que les deux tendances existent comme tension à l’intérieur de chacun de nous. Et c’est bien cela le problème : l’oligarchie n’est pas qu’une classe dominante oppressive, et même plus une classe puisqu’elle ne s’oppose à aucune autre – ce qui est une situation historiquement nouvelle en occident depuis bien longtemps... Si vous entrez dans un café et que vous commencez à râler, comme les Français savent si bien le faire, vous verrez que tout le monde est d’accord : « ces salauds de riches ! Ils n’arrêtent pas de piquer notre pognon, les hommes politiques sont leurs complices », etc. Mais creusez un peu, et vous verrez que la plupart de ces « contestataires » ne rêvent pas de justice sociale, mais envient les riches. Ils voudraient être à leur place, se mettre à l’abri, individuellement. C’est ça, l’oligarchie : un mode de vie d’une minorité auquel le reste de la population aspire, et on peut même dire que plus on est opprimé, plus on y aspire... Nous ne savons pas encore comment tout ça va tourner, mais nous savons que dans les conditions actuelles, la guillotine ne sera pas d’un grand secours. On aura beau couper des têtes, elles seront remplacées par d’autres têtes pleines de la même mentalité. C’est pourquoi nous appelons chacun à un travail sur lui-même, à rompre avec la notion de désir illimité de puissance, à nous auto-limiter collectivement. Tant que les mouvement sociaux n’auront pas comme perspective un changement radical (une organisation sociale différente), ils ne feront que réagir en panique aux atteintes à leur « droit de consommer » : « profitation » en Guadeloupe (dénonciation d’un usage des leviers économiques défavorable à la population), crise monétaire en Argentine, effondrement financier en Islande, plans d’austérité en Espagne et en Grèce. Le mouvement du 15 mai n’échappe pas à cela. Soit il propose un projet de société alternatif, soit il retombera dans les impasses qu’on connus avant lui la gauche, le mouvement syndical, les altermondialistes – à la différence qu’aujourd’hui la catastrophe est là.
  • Bien sûr, on est toujours content lorsque « en attendant », des gens autour de nous sortent de la galère. Mais ce qu’on obtient ainsi ne gêne pas le pouvoir. Au contraire, ça le valorise, ça lui permet de faire des gestes purement symboliques. Et « en attendant », les solidarités qui se créent entre les gens sont souvent éphémère : obtenir le fait du Prince les pousse à jouer chacun pour soi. En France, c’est ce qui se passe avec les sans-papiers. Dès qu’un sans-papiers est régularisé, il cesse immédiatement d’être solidaire de ses « camarades ». On a vu Sarkozy recevoir quelques sans-papiers, être ému par leur histoire, et ordonner leur régularisation. Voilà un geste pour quelques-uns qui évite une réforme « pour tous ceux qui ont les mêmes problèmes d’oppression qu’eux »… Sans doute est-ce en train de changer et tant mieux : il n’y a pas d’autre issue.

Construisons l’autonomie en marchant ! Bien dit.

Petrus (du collectif Lieux Communs)

[1] voir le texte La caillera et son intégration sur ce site.

[2] voir notre tract Pour des assemblées générales autonomes.

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Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives
vendredi 1er juillet 2011 à 01h47 - par  C.

Je vous invite à visiter le site

http://www.real-democracy.gr/fr/con...

qui contient la traduction française du premier texte signé par les initiateurs du mouvement de la Place de la Constitution d’Athènes. L’original se trouve à l’adresse

http://www.real-democracy.gr/conten...

Maîtrisant — plus ou moins — les deux langues, je peux seulement affirmer que je trouve la traduction excellente.

Amicalement, C.

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Les mouvements des « indignés » : potentialités, contradictions et perspectives
vendredi 24 juin 2011 à 16h33 - par  Un re-motivée

Ma réponse est à la base posté sur :

http://grenoble.indymedia.org/2011-06-23-Les-mouvements-des-indignes

Je pense que cet article ouvre des pistes intéressants de réflexion, mais qu’il manque du concret à l’échelle territoriale.

Vous en parlez du mouvement « dit des indiné-e-s » de quelle coté des pyrinées ?. Vous avez eau des échos de quelles campement ?, de quelle assemblée locale ?

Il faut que nous prenons en compte que ce un mouvement est très spontanée. Il commence à s’organiser surtout localement et avec une construction très horizontale et spontanée des rapports de coordination (dates de mobilisation, formes d’action, principes politiques, etc.). Alors doucement les ami-e-s, laissons aux peuples faire leur pas.

Si non, trois critiques derivées de mes premiers questions :

  • Vous dissiez « Le mouvement des indignés réunit principalement des citadins issus des classes moyennes dé­classées ». Peut etre à Grenoble ou en France, mais pas à Murcia, Baiona, Horta ou Bilbao. Au moins dans ces cas là des témoignages directes confirment le contraire. Et on peut constater à plusieurs repris, par seulement une « co-habitation inter-classiste », mais aussi un renversement des rôles et places symboliques hiérarchisées, suivant reproduites dans les mouvements révolutionnaires depuis toujours. Renversement au moins temporaire et très directe, liée au partage quotidienne sur une place occupée. J’ai déjà vu - et je me suis remplis de joie - un yonkee cracher sur un squatteur indépendantiste en le traitant de pseudo-commandante vouloir tout contrôler. J’ai vu aussi « la fille d’un gitan braqueur de banques assassinée par la police quand elle avé 4 ans et placé en famille d’accueil contre la volonté de sa mére-prostitué » prendre des rôles tel que port parole dans les médias, dynamisation d’une AG, responsabilités importantes dans l’organisation, etc. Et je ne parle pas d’un cas isolée. Des rapports internes à la communauté marocaine dans le campement de Bilbao font preuve aussi. Ou la reconnaissance majeur d’une partie des sortants de prison. Paradoxalement j’ai aperçu -au passage, du coup plus vite fait - le même genre de anti-reproductions sociales dans le campement de Baiona.
  • Les deux tendances que vous identifiez ils existent, clairement. Mais pas comme deux champ séparées - un peu de fois quand même - mais surtout comme tension pragmatisme-idéalisme au sein de chacun de nous. Le changement radicale de la société par des assemblées doit bien commencer par quelque chose. Il faut se mettre en route. Mais, en attendant, moi je sera bien contente si plusieurs de personnes avec lesquelles on partage maintenant un projet politique embryonnaire trouvent de la place des oligarchies des concessions du genre « pas se faire expulsée de chez eux » ou « pouvoir avoir des papiers pour travailler » ou « pas se faire couper les allocs un moins sur deux », etc. Quand je dit « pour eux » je veux dire « pour tous et toutes qu’ont les même problèmes concrète d’oppression qu’eux »
  • Et, en fin, vous montrée le mouvement du 15-M comme étant à l’attente de l’olygarchie. Bon, je ne sais pas si vous en pensez à la guillotine, mais pour l’instant c’est claire que ce mouvement n’en pense pas à la guerre sociale par les armes. DU coup, les assemblées discutent encore sur ses reivindications « reformistes », avec une bonne partie d’entre elles ne voulant pas se limiter au « consensus minimale » propossé par les médias et adoptée par peu d’assemblées locales à ma conaissance. Du coup des programmes plus « à la LKP Guadalupeienne » son plus nombreaux, tout en etant le discours du mouvement radicale et contraire aux olygarchies . Les actions tel que celles de Valencia, Barcelona ou Madrid ces derniers deux semaines se trouvent assez proches du sabotage des institutions à l’Argentine 2001 -meme si on est pas encore là ;-).

Voila, pour le reste je trouve vos questionements plutot interessants pour analyser les limites et les contradictions de ce mouvement en France. Mais là je ne me lance pas car j’attende de voir un peu mieux au tour de moi avec des personnes ayant participé ou participant aux assemblées de Victor Hugo à Grenoble.

Construisons l’autonomie en marchant compañerxs !!

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