Echange mail sur la « récupération » politique

dimanche 10 mai 2009
par  LieuxCommuns

La récupération politique

Le thème peut surprendre : mon pari est qu’il peut nous permettre d’aborder les questions autour desquels nous tournons, mais sous un angle différent, et que cette approche nous permettra de penser à de nouveaux frais. Je précise immédiatement que je ne suis en rien expert en la matière, que les quelques avis que j’ai sur le sujet tiendront facilement en une page, et que j’ai le plus grand mal à traiter seul la question, qui me semble cruciale - et la confusion de ce qui suit le montrera amplement.

On peut partir d’un paradoxe : la notion de « récupération politique » est un lieu commun très répandu, prétexte à toutes les désertions et abandons, qui recouvre des faits réels et massifs qui semblent, pour beaucoup, barrer l’horizon politique, à tort ou à raison, mais à propos de laquelle les réflexions, lorsqu’elles existent, sont systématiquement allusive. Au point qu’on ne sait plus de quoi on parle, sinon d’un phénomène énigmatique de banalisation par lequel le subversif est désamorcé, devient anodin, voire élément de l’aliénation.

D’abord toute critique, en acte ou en parole, d’un pouvoir ou d’un ordre des choses peut participer (et participe la plupart du temps) à son maintien voire à son renforcement. Au stade le plus élémentaire, le bannissement des contestataires est la première des manoeuvres permettant renforcer l’assise de l’état de fait. A un niveau plus élevé, l’ordre établi bousculé par la critique pourra démontrer sa capacité à s’auto-justifier, à démontrer son bien-fondé. Enfin, à la lisière de l’hétéronomie, le système peut faire la preuve de sa capacité de dialogue, de son ouverture à la critique, voire de sa possibilité de se transformer ouvertement pour s’adapter aux réalités. Ce sont là des jeux de pouvoirs vieux d’au moins plusieurs millénaires, que chaque grande civilisation a peu ou prou théorisés et rationalisés.

C’est ainsi qu’il faut comprendre les manoeuvres tactiques et rhétoriques que les appareils politiques emploient pour s’annexer les sommets de mouvements indépendants et / ou assimiler les discours subversifs selon un principe d’équivalence ou de neutralisation. C’est ce processus de « digestion » qu’on désigne le plus souvent par « récupération politique », et qui forme par là une dynamique auto-entretenue où la toute-puissance du « système » rationalise le désengagement et la passivité. Cette conception, finalement très trotskiste, pose évidemment question.

Ce n’est pas simplement le « système » qui est omnivore ; c’est également que ce qui surgit tend intrinsèquement à se rendre équivalent à ce qui existe déjà (la tendance à la bureaucratisation, ou plutôt à l’oligarchisation, dans les collectifs en est un exemple édifiant). Cela oblige à se concentrer sur ce qui était récupér-able, ou susceptible de le devenir, dans le subversif : tout surgissement de nouveau ne peut que s’instituer à partir de ce qui est déjà-là. N’est-ce pas là la démarche de toutes les relectures politiques de la révolution française qui constatent ses errements et ses insuffisances, ou du marxisme qui partent de l’expérience totalitaire (et une telle démarche manque certainement en ce qui concerne les divers mouvements contestataires des années 60 - 70 ? Et n’est-ce pas ce raisonnement - tout est, finalement, récupéré à plus ou moins long terme - qui peut conduire à un fatalisme débouchant sur ce qu’il faut bien appeler un réformisme (fut-il « radical » comme le Négrisme) ? Mais cette récente « capacité du système à tout récupérer » n’est-elle pas plutôt une extrême difficulté (croissante ?) qu’a la critique de se déprendre de l’imaginaire institué, ou, peut-être, à reconnaître en elle-même ce qui lui est propre ?

Mais surtout : n’est-ce pas le principe même des sociétés occidentales de tolérer, susciter, provoquer l’altération de l’ordre établi ? Car autant le projet démocratique se veut remise en question permanente des fondements essentiels de toute institution, autant les mécanismes capitalistes instrumentalisent la création humaine au profit d’une unique, mais polymorphe, volonté de puissance. La « récupération » serait alors cette emprise parasitaire fondamentale du second sur le premier, constituant le ressort ultime de la domination par le détournement constant des désirs et des projets de liberté. Si sa dynamique est le passage de significations d’une visée émancipatrice à une entreprise de puissance, alors son moteur propre n’est-il pas la perte progressive du sens des mots et des actes, parallèlement au retrait généralisé des population dans la sphère privée ? Ainsi, et peut-être enfin, le terme de « récupération » ne recouvre-t-il pas les phénomènes d’insignifiance et de privatisation, les nourrissant en retour par la construction fantasmatique d’un « système » tout-puissant, mauvais, omniprésent et finalement inaltérable ?

Finalement, le thème de « la récupération » présente un double aspect : D’un coté les mécanismes qu’il pointe semblent au cœur même de la nature du social-historique et a fortiori de la double spécificité démocratique et capitaliste des sociétés occidentales. Mais de l’autre le seul usage du terme occulte et alimente ces mêmes mécanismes en entretenant le mythe d’une collectivité soumise de part en part à un pouvoir absolu et inaccessible et inamovible, qu’il ne resterait donc qu’à fuir pour l’entre-soi.

Ces quelque lignes, problématiques, se veulent une base discutable pour travailler ce thème, ne serait-ce que pour en démontrer l’inanité. Serait-il possible que cette question soit l’objet d’au moins une discussion serrée entre nous ? Elle pourrait être introduite par un exposé que je veux bien préparer mais, sinon avec d’autres personnes intéressées, du moins à partir de commentaires critiques de ce petit texte.

T.


Je réponds très brièvement au texte de T. (du 20/10/08).

Un concept fondamental n’est pas évoqué dans ce texte : celui de totalité (et qui, selon moi, doit l’être). Pourquoi un élément critique (de la société existante) peut-il être récupéré ? Parce que, d’une part, il est en relation avec les significations imaginaires sociales du système, et d’autre part il ne vise pas la totalité du système. Ici, de nombreux exemples doivent être donnés. En voici deux : 1) L’égalité politique (conquise) des femmes entre dans le cadre de la vieille représentation politique (et même l’améliore, sans en changer le principe). 2) L’introduction des procédures d’autocontrôle ou de pseudo-autonomie dans les entreprises après Mai 1968 entre dans le cadre d’un contrôle, en dernière instance, effectué par le système et non par les travailleurs concernés (mais avec leur participation). etc...

La récupération ne devient impossible que si et seulement s’il y a changement véritable des significations imaginaires sociales centrales (changement qui altère radicalement la totalité du système). Et ici, nous sommes devant une énigme (qu’en est-il de ce changement ?).

C. (30/10/08)


Salut C., salut à tous,

Merci pour ta réponse, C. Elle va sûrement m’aider à préciser mes interrogations parce qu’elle exprime justement un point de vue très répandu qui me semble conduire non pas à une énigme, mais à une impasse. En tout cas c’est l’impression que j’en ai. Tu dis que la récupération d’un élément critique n’est possible que si il est d’une part en relation avec les significations imaginaires sociales du système et d’autre part si il ne vise pas la totalité du système, et donc que ces deux conditions une fois renversées garantiraient l’impossibilité de sa récupération. En fait, ces deux conditions n’en font qu’une : celle de l’altération radicale des significations centrales d’une société.

Cette position me semble insuffisante ou même intenable en principe, historiquement et pratiquement, et surtout me paraît constituer le problème que je tente de soulever. Comme je cherche à tâtons, c’est un peu confus, mais je vais essayer d’être concis, malgré le fait qu’il y aurait beaucoup de choses à dire...

  • En principe parce que je ne vois pas comment une critique politique, ou n’importe quelle autre chose d’ailleurs, pourrait se formuler sans aucune « relation » avec aucune des significations imaginaires de la société dans laquelle elle est énoncée. Toute création se fait « ex nihilo », « à partir de rien », c’est-à-dire sans déterminisme d’aucune sorte, mais jamais « cum nihilo », « avec rien », c’est-à-dire dans des formes totalement extérieures avec ce qui existe déjà, le déjà-là. A moins d’être au-delà du langage ou plutôt de tout langage...Les surréalistes et leurs descendants ne l’ont-ils pas montrés, à la limite de l’audible ?
  • Ensuite historiquement, je vois mal comment considérer tout ce qui constitue le « système » comme hostile à ce que nous pourrions vouloir. Notre société est-elle totalement, fondamentalement, et de part en part aliénation ? Les vagues successives des mouvements d’émancipations n’ont-elle pas instituées des significations qui ont rapport, ou n’ont plus rapport, ou devrait avoir rapport, mais dans tous les cas ont des « relations » avec les valeurs dont nous nous réclamons ? Ce sont les questions que nous nous sommes posés à propos du texte de Larry : la réalité que nous vivons est constituée d’éléments hétéroclites, résultats des siècles passés. Je vois mal comment envisager un projet politique qui fasse table rase de tout, et notamment des luttes des femmes ou celles des mouvements 60, pour reprendre tes exemples, et surtout - et c’est là une bonne partie du problème - de ce que la société en a fait.
  • Enfin pratiquement, poser que seule une critique totale et centrale de la société peut échapper à la récupération, n’est-ce pas rêver à un surgissement immédiat d’une telle chose, qui tomberait là de pied en cap, telle quelle, entière, inaltérable, pure et superbe, prête à être appliquée pour rompre définitivement avec le présent ? Et ne sommes-nous pas là à la limite de la Révélation religieuse ? Je ne vois pas comment une telle critique, éminemment souhaitable, pourrait être élaborée sans passer par des phases de maturations, de pratiques, de tâtonnements, d’erreurs, etc... états où elle serait donc à la fois partielle et inaboutie et, de ce fait, susceptible d’être « récupérée ».

Je ne crois donc pas qu’une approche qui cherche à « éviter la récupération » puisse éviter les catégories inadéquates du « pur » et de « l’impur », et je pense même qu’un tel angle d’attaque ne peut que nous enfermer... Les passage à ce propos de « la révolution anticipée » de Castoriadis me semblent très pertinents. La question n’est pas de construire, à mon avis fantasmatiquement, de « l’irrécupérable » : au contraire, c’est la meilleure façon de l’être, puisque nous sommes alors aveugles au fait que nous sommes la société et que tout ce que nous pouvons penser ou faire est nécessairement pétri de l’imaginaire dominant - et c’est ce qui se passe. La question ne serait donc pas : comment ne pas être en relations avec les valeurs déjà existantes ? mais plutôt : quels types de rapports pouvons-nous entretenir avec ces significations instituées (celles de la maîtrise rationnelle, mais également celles, « récupérées » des luttes passées) ? La tâche, me semble-t-il, n’est alors pas de construire un abri protégé à tout jamais de l’infâme société (comme tout le monde essaye de le faire et comme le terme même de « récupération » y incite) mais de chercher à distinguer dans toutes nos activités (comme dans toutes les expériences historiques passées), ce qui relève des significations qui mènent à l’hétéronomie, et celles qui incarnent nos désirs d’émancipation, et d’établir entre les « deux » une relation d’élucidation réciproque. Et ce non pas une fois pour toute, mais perpétuellement, même, y compris, et surtout, après une révolution, aussi radicale et triomphante soit-elle. C’est du moins ce que je comprend, et vis, du projet d’autonomie. Amicalement

T.


Sur la récupération

Il serait aussi je crois intéressant de poser la question de la récupération en termes de médiatisation. Je m’explique (en tout cas j’essaie) :

  • une chose nous apparaît évidemment (je crois que les expériences sont assez nombreuses sur ce point) récupérée dés l’instant où elle devient objet de médiation, de publicité voire d’informations de la part du système médiatique dominant. Et cela paraît juste. Force est de constater que dés lors que cette médiatisation a lieu, la chose devient anodine, rentre dans le grand jeu de l’insignifiance, voire s’incorpore au système de significations imaginaires.
  • Alors corollairement A) Pense-t-on qu’une chose puisse rester subversive malgré une médiatisation ? B) Il y a de nombreuses actions, pensées, choses éminemment subversives en cours dont on a pas connaissance puisque par définition non médiatisables.

Dés lors les questions : a) comment prendre connaissance voire même conscience d’une chose subsersive au moment où elle se produit et en dehors de tout phénomène de médiation-médiatisation ? b) La question de la récupération ne serait-elle donc pas aussi un problème de temps (on est subversif à un instant t et déjà récupéré à t+1, sans avoir pour autant rien abdiqué) et d’espace (on ne peut avoir de portée subversive que dans l’espace proche, local, humain qui peut se passer de médiation-médiatisation) ?

M.


Réponse à T.concernant sa réponse du 02/11/08 à ma réponse du 30/10/08 à ses considérations sur la récupération.

T., je ne me reconnais pas du tout dans la position que tu critiques, souvent à juste titre, dans ton dernier texte. Je me suis donc mal exprimé. Par exemple, ma conclusion devrait être : la récupération devient d’autant plus difficile pour le système qu’il y a application de plus en plus complète (et non seulement partielle) de la signification imaginaire sociale centrale de l’autonomie et de toutes celles qui lui sont liées (le « de plus en plus complet » évoquant « la totalité ». Il va sans dire que je n’emploie pas les notions de « pur » et d’ « impur » ni de « table rase » etc... L’opposition : partiel/total est à distinguer de l’opposition : apathie/surgissement du nouveau. Castoriadis, dans plusieurs de ses interventions publiques, parle par exemple de droits partiels par contraste avec les droits formels des marxistes (le pouvoir de s’exprimer sans répression est un droit effectif partiel dans nos régimes partiellement démocratique). Le même Castoriadis cite dans sa conférence de Toulouse l’article 21,1de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis. » et remarque que le mot « directement » est supprimé ou non appliqué dans les constitutions occidentales. Je suis en accord avec ce que je pense être la position fondamentale de Castoriadis, à savoir : développer dans toutes ses conséquences, dans le domaine politique (dans son sens) la signification imaginaire sociale de l’autonomie qui a déjà été crée et qui est encore effective dans nos sociétés, mais non dominante (c’est pour cela qu’on peut parler d’aliénation : la fin de l’article 2 de la Constitution de la Cinquième République : « Son principe (de la République) est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » n’est que très partiellement appliqué, avec l’assentiment du dit peuple pour cet aspect partiel). Je termine par deux remarques : 1)Dans une société devenue démocratique, les conflits continuent d’exister. Il n’y a pas de fin de l’histoire ou de quoi que ce soit. 2)Du radicalement nouveau peut être créé, mais par définition on ne peut rien en dire.

C. (05/11/08)


Salut à tous,

Je ne sais pas si la question de la « récupération » intéresse beaucoup de monde sur cette liste... Mais, au risque d’en agacer certain, j’aimerais tenter encore une (dernière ?) fois de faire valoir mes questions, histoire aussi peut-être de charger plus encore l’ordre du jour de mardi...

Je ne comprend pas le sens des réponses de C. et de M. Toutes deux me semblent clore brutalement une question que je tente, maladroitement, d’ouvrir. (Mais comme je ne comprend pas celle de C., je ne peux discuter que celle de M.).

Réduire le phénomène de la « récupération » à celui de la médiatisation, comme le fait Marc, c’est affirmer un lieu commun. Evidemment que l’industrie médiatique boit tout, broie tout, noie tout, rend tout équivalent, interchangeable, insignifiant. Mais si on s’en tient là, il suffit de plier bagage, avec une drôle de défaite : il suffit qu’on parle de nous, nous qui cherchons à nous adresser à tous les hommes et les femmes de bonne volonté, pour qu’on se taise... Vive la clandestinité, les groupuscules paranoïaques et les déraillements... Et puis, a quel moment est-on médiatisés, donc récupérés : un micro-trottoir au JT de Pernoud ? Un article dans « rebonds » de Libération ? Une interview sur France-Culture ? Une publication dans une revue intello ? Un documentaire dans une salle d’art et essai ? Si une amie fait un reportage radio sur notre (non-)groupe, et la diffuse chez Mermet, sommes-nous récupérés, et si oui faudra-t-il nous auto-dissoudre illico ? Castoriadis édité au Seuil : des camarades refusent de le lire en me disant qu’il est « récupéré » ; dois-je leur dire en plus qu’il est passé une fois à la télé ?... Bref : la récupération n’est-elle pas aussi dans les yeux, les oreilles, les autres orifices ou la tête de celui qui reçoit ?

Alors plus qu’un lieu commun, j’ai l’impression que ce discours sur « les média » est le fondement même du phénomène de « récupération » : le système récupère tout, ce qui est récupéré est mort, il n’y a rien à faire... « Qu’il est merveilleux de se sentir piégé » disait un mauvais chanteur de mon adolescence.

Essayer d’en sortir, c’est poser des questions embêtantes :

D’abord, il est d’autant plus facile d’être « récupéré » par les médias que ce qu’on a à dire ne les dérange pas, sur la forme comme sur le fond. C’est une évidence : un groupe de victimes qui cherche les sun-light avec un porte-parole qui joue les starlettes, ce n’est pas un collectif en lutte qui a pensé la question du pouvoir en son sein et les finalités réelle de son combat. La question des plateaux-télé est déjà périphérique : on parle de bureaucratisation, d’oligarchisation, d’appareils, choses ô combien répandues qui mènent directement à la décapitation (très) facile par la promotion ou l’intégration dans les appareils contestataires bien installés. La question est donc aussi (j’ai bien dit aussi) celles de nos pratiques et de nos priorités implicites. L’insignifiance n’est pas, loin de là, le monopole des « média » : elle sourd de partout. Ensuite, ce qui est récupéré n’est pas mort. La liberté de la presse, le droit du travail, l’habeas corpus, la liberté sexuelle, etc... sont institués et « font partie du système ». Doit-on les combattre ou nous en désintéresser parce qu’ils sont « intégrés » ? Au contraire : ils sont la preuve vivante de l’importance de nos combats passés et la sources de ceux à venir. Les abandonner, quitter ce terrain parce qu’ils seraient « récupérés », c’est d’un coté nous renier comme héritiers de ces luttes, d’un autre entériner leur fonction d’aggiornamento du « système », et c’est aussi éviter de nous interroger sur leur ambivalence, qui est peut-être le lot de tout projet, fut-il d’émancipation... Enfin, ou peut-être pour commencer, enfin : parler de « récupération » n’est-ce pas performatif, c’est-à-dire auto-réalisateur. N’est-ce pas un épouvantail qui nous fait croire, efficacement, que d’autres que nous peuvent donner un sens à ce que nous pensons, disons, faisons ? N’est-ce pas une extraordinaire mystification qui fait exister un moloch maître es significations qui dissuade quiconque de lui disputer ce qu’il prétend détenir ?

Ce que les gauchistes ont appelé « récupération » n’est-ce pas une institutionnalisation, forcément déformante, non assumée ?

Pour finir, et faire le lien avec le débat sur Mai 68, un extrait de mon brouillon de texte (partie V) que j’avais communiqué au groupe en mai, non pour le plaisir de m’auto-citer mais pour introduire au débat en cours que j’ai depuis avec P.A. et que j’envoie en pièce jointe.

« La lutte, ici, consiste à préciser ses désirs, ses projets, ses exigences. Les abandonner dès que d’autres s’en emparent à d’autres fins, ne pas les risquer en démissionnant de ce combat toujours à recommencer, y préférer la pureté du désengagement ou de la dénégation, c’est le fait même de la récupération : « Celui qui a peur de la récupération est déjà récupéré ». Les étudiants révolutionnaires y sont condamnés, « car cherchant des garanties contre la récupération et par là déjà pris dans le piège idéologique réactionnaire : la recherche d’un talisman, d’un fétiche anti-récupérateur » (Castoriadis, « La révolution anticipée »). La « récupération » est donc d’abord et avant tout une confusion, un flou, un flottement aveugle sur le sens et les inévitables ambivalences de ce dont on parle, de ce dont on se réclame, de ce que l’on fait. N’est récupéré que ce qui est déjà récupérable, et est récupérable ce qui s’ignore constitué de part en part de l’imaginaire dominant, refusant de le savoir, de le reconnaître, d’en faire un terrain d’analyse et de lutte. S’imaginer échapper à la souillure du monde par une pureté inaccessible, à l’abri des errements, des faux-semblant, des régressions, c’est s’y précipiter immédiatement. L’illusion maîtresse étant ici, aujourd’hui encore, de croire que la « récupération » s’évite par l’aspiration opaque, la valeur incertaine, la définition imprécise, l’organisation insaisissable, le projet implicite, alors qu’elle s’en nourrit. Que ceux-ci en visant l’insignifiance soient tout autant le produit d’une époque et d’individus déboussolés que le fruit d’un pseudo-choix tactique plus ou moins théorisé ne change rien. Et les doctrines des descendants des idéologues nihilistes appuyant le mythe d’une récupération permanente et sans appel sur cet autre mythe d’un « Système » tout-puissant, Spectacle, Bio-pouvoir, Empire, purs produits de mécanismes automatiques et auquel rien ne résiste sinon des soubresauts éparpillés, devraient passer pour ce qu’elles sont : des garanties que rien ne bougera avant leur déliquescence . »

A mardi

T..


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