Ce texte fait partie de la brochure n°26 :
« Écologie, pandémie & démocratie directe »
L’écologie politique dans la crise mondiale — première partie
Sommaire :
- Premières remarques sur la crise ouverte par la pandémie (Article) — Ci-dessous...
Le brouillon de ce texte a donné lieu à deux émissions sur Radio Libertaire :
La pandémie actuelle du Covid-19 ouvre une crise totale, au sens où elle bouscule la totalité de l’organisation de nos sociétés, de ses aspects les plus intimes jusqu’à l’ordre géopolitique mondial. Il faudrait parvenir, ambition impossible, à en saisir toutes les facettes, comprendre ce qui se joue, formuler les grandes orientations envisageables et, éventuellement, le rôle que nous pouvons y jouer.
Ces quelques remarques, et celles qui suivront peu à peu, ne cherchent pas à établir des vérités définitives surgies d’on ne sait où, et d’autant plus que la situation renfermera, pour quelque temps encore, de multiples développements possibles. En ce moment d’ébranlement tous azimuts, il s’agit de partager ici quelques éléments, immédiatement datés et souvent sur le mode de l’interrogation, pour essayer de nourrir une intelligence collective – seul, unique et ultime secours en ces temps troublés où nous nous installons.
Trois précisions : d’abord ces considérations s’adressent à ceux qui se donnent la peine de s’informer sur les questions ici soulevées. La revue de presse continue régulièrement mise à jour sur ce site depuis la mi-mars servira de référence permanente mais implicite, dispensant de laborieuses notes de renvoi. Deuxièmement, ce qui est également requis, et avidement recherché, est la lucidité, quel qu’en soit le prix, et il peut être élevé en période d’incertitude généralisée : il n’est pas plus question ici de « rassurer » les masses (c’est-à-dire monnayer leur soumission) que de les « paniquer » (c’est-à-dire travailler à leur égarement). Le catastrophisme n’aura finalement jamais été autre chose que l’envers du progressisme, et l’industrie du spectacle n’a cessé, depuis quarante ans, de travailler à cette tenaille [1]. Enfin, comme toute véritable crise qui rompt une situation de délitement méta-stable, notre actualité n’est pas surdéterminée mais offre, au contraire, la possibilité de réorientations fondamentales à toutes les échelles – la véritable question étant ce que nous sommes prêts à faire, ce qu’il est possible d’entreprendre sans trop d’illusions, et surtout ce que nous voulons [2]. Nul fatalisme, donc, mais nul volontarisme non plus.
Bref : nous nous adressons à des adultes.
Ce qui arrive ne doit pas, au fond, nous surprendre
Nous savions tous, plus ou moins confusément, que nous vivions dans l’œil d’un cyclone, et que l’histoire ne pouvait que redémarrer. Le refus passionné de comprendre les signes qui s’accumulaient ne pouvait que conduire à cet effet de seuil, cette soudaine accélération que nous vivons [3].
Mais cette rupture brutale dans un présent qui se voulait perpétuel aurait tout aussi bien pu être déclenchée par d’autres événements tout aussi inéluctables et imprévisibles découlant de processus connus de tous : un conflit géopolitique majeur, une catastrophe écologique mondiale, un accident nucléaire planétaire, une crise économique généralisée, une attrition pétrolière subite, une cyberattaque d’ampleur, etc. C’est ainsi qu’il nous semble falloir comprendre, fondamentalement, ce qui nous arrive, au-delà de l’urgence présente, aussi prenante soit-elle [4].
Toutes ces autres crises potentielles (économique, écologique, alimentaire, sociale, anthropologique…) qui couraient jusqu’ici parallèlement à la crise sanitaire que nous traversons ne vont pas cesser, bien au contraire : elles vont se révéler. Nous assistions depuis des décennies à leurs cheminements indépendants, puis à la convergence de quelques-unes (crises économique et énergétique, par exemple, ou crise migratoire et écologique) voire à un début de synergie (avachissement occidental et affirmations ethno-religieuses – l’islamo-gauchisme, par exemple [5]).
La grande question de la synergie des crises en cours
La grande question est donc : ces engrenages vont-ils s’articuler, ces crises vont-elles se catalyser et s’auto-alimenter les unes les autres ou bien les réactions populaires et oligarchiques suscitées par la pandémie vont-elles nous amener à les affronter globalement, voire à en résoudre certaines conjointement ? Autrement dit : le carrefour auquel nous sommes aujourd’hui nous conduit-il au déclenchement d’un effondrement civilisationnel en cascade ou sommes-nous dans un phénomène de réveil des peuples comme l’esquissaient les divers mouvements dits « populistes » de ces dernières années, tels les Gilets jaunes en France [6] ?
Ou, pour poser la question en des termes plus familiers de nos lecteurs réguliers : l’épidémie mondiale de Covid-19 nous propulse-t-elle vers cet horizon impérial auquel nous destinaient les grandes évolutions de nos sociétés, ou constitue-t-elle un coup d’arrêt, même provisoire mais peut-être salutaire, à ce funeste avenir [7] ?
Essayer de sérier les problèmes
Ces interrogations grandes ouvertes doivent être nourries et examinées. Le caractère « total » de la situation actuelle déclenchée par la crise sanitaire exige de sérier les grands domaines à aborder, sans qu’il soit possible d’oublier leurs profondes interdépendances. La liste suivante devrait être développée au fil des textes, voire remaniée si le besoin se présente.
- Le premier domaine est celui de la pandémie proprement dite et de ses questions essentiellement épidémiologiques – abordé ci-dessous.
- Le deuxième recouvre l’impact de cette pandémie à court et moyen terme sur nos sociétés, et leur imaginaire social. Il y serait notamment question du déni spectaculaire des dangers du coronavirus, du possible retour de la notion d’intérêt collectif et de ses ennemis, des effets probables du confinement, de l’évolution des relations entre les peuples et leurs oligarchies, etc.
- Le troisième domaine concernerait les réactions et stratégies éventuelles des oligarchies, au-delà du scandale français, de leurs incroyables volte-face idéologiques, de leurs revirements soudains et surtout de la possibilité que les mesures actuelles de réclusion constituent un précédent pour la mise en place d’un régime autoritaire légitimé par l’urgence sanitaire et écologique, c’est-à-dire une écocratie [8].
- Le quatrième et dernier domaine questionnerait la crise économique qui ne fait que débuter et les réagencements géopolitiques en cours [9]. Il s’agirait notamment de comprendre l’évaporation de l’Union européenne et ses conséquences, d’envisager le retour possible d’un monde d’États-nations et d’un basculement mondial en faveur de l’Asie, l’exaspération des tensions déjà présentes, l’avenir du continent africain, probable futur épicentre de la pandémie, etc.
1 – Questions épidémiologiques
L’évidence était partagée par ceux qui voulaient savoir : nous étions entrés depuis de nombreuses décennies dans une nouvelle ère historique de pandémies.
Et cela pour des raisons, connues, de géopolitique (la « mondialisation », c’est-à-dire le brassage accéléré des objets, des humains et des espèces à l’échelle planétaire) et d’écologie (perturbation accrue des écosystèmes, y compris fossiles comme le permafrost, généralisation de l’élevage industriel, développement d’agents pathogènes résistants aux antibiotiques) mais aussi, souvent éludées, bio-anthropologiques : l’immunodépression chronique des modes de vie sédentaires dans des centres urbains surpeuplés, pollués, à l’alimentation déséquilibrée, et des campagnes à l’envi, accompagnée par la disparition progressive du bon sens collectif (et des minimas de culture scientifique), et surtout par l’affaissement du sentiment d’appartenance, d’identité, d’intérêts communs.
Cette situation n’est pourtant pas nouvelle : c’est celle, mutatis mutandis, de tous les grands empires dans l’histoire, immanquablement ravagés par des épidémies dévastatrices qui ont pu contribuer à des effondrements ou des refondations. La dernière grande pandémie, la grippe espagnole de 1918-1919, ayant marqué l’aboutissement de la première mondialisation du XIXe, au sortir de la Première Guerre mondiale, premier affrontement colossal d’empires coloniaux de l’ère moderne. Mais si la plupart des épidémies importantes se sont propagées dans ces configurations de « grandes mêlées des peuples » ou d’États affaiblis, leurs impacts ont pu être très différents en fonction de la pente historique où elles se déroulaient – la grande peste du XIVe accompagnant paradoxalement l’émergence de l’Occident, la Renaissance.
Placé dans cette perspective, le Covid-19 est une pathologie relativement bénigne – il suffit de comparer avec les dévastations provoquées par la peste ou le typhus, ou même la grippe de Hong Kong de 1968-1969, qui avait fait, rien qu’en France, plus de 30 000 morts en deux mois. Il constituerait donc plutôt un avertissement (les MERS, SRAS, Ebola… n’ayant pas été entendus en Occident) et un entraînement à de futures pandémies qui ne manqueront pas de survenir dans les conditions actuelles. De ce point de vue, ce que nous vivons est une occasion historique inespérée, et in extremis, d’éviter des cataclysmes à venir.
Les inconnues qui entourent le virus SARS-CoV-2 sont nombreuses et leurs levées progressives vont déterminer la sortie de la pandémie :
- Y a-t-il d’éventuelles séquelles sur l’organisme, à moyen ou long terme, d’une infection, ainsi qu’une possibilité d’immunité acquise (une première infection ne protégerait sinon pas de la suivante) ? ;
- Nous ignorons si la pandémie va se dérouler en plusieurs vagues successives (la deuxième de la grippe espagnole avait été la plus mortelle), ni si le virus ne va pas devenir endémique, revenant saisonnièrement sous une forme altérée ;
- La découverte de médicaments adéquats semble sur la bonne voie, même s’il est possible qu’ils ne soient pas une panacée ; idem pour le vaccin, promis pour dans un an, sans que sa réalisation ou son efficacité technique ne soient, là aussi, certaines ;
- Enfin, corrélé à ce qui précède, des mutations du virus sont toujours possibles et même probables, à mesure que l’épidémie s’étend et rencontre des populations différentes.
Les réponses à ces questions dépendent essentiellement de la recherche médicale, un des quelques secteurs intellectuels – essentiellement de sciences « dures » – qui ne soit pas délabré et qui poursuit sa trajectoire « moderne » en multipliant les progrès tangibles.
Mais, même ici, les domaines ne sont cloisonnés que sur le papier : impossible d’être resté insensible à la profonde crise traversée par la médecine occidentale (mécanique / moléculaire) engagée dans l’impasse de la surenchère techno-scientifique, ignorant des interrogations fondamentales déjà anciennes (aspects psycho-somatiques, par exemple), convoquant, en catimini, les médecines « parallèles », etc [10]. Ce n’est pas à nous et ce n’est pas le lieu de dresser un état des lieux de la discipline, mais il est clair, pour en rester à l’épidémiologie, que la course aux antibiotiques s’annonce perdue à plus ou moins court terme, les bactéries multirésistantes n’étant pour l’instant que contenues lors de leurs apparitions (une alternative serait l’élaboration de bactériophages, autrement dit l’utilisation de virus contre les bactéries…).
À un autre niveau, les traits « sociologiques » qui neutralisent nombre de disciplines s’exercent ici aussi : bureaucratisme effréné, pression des lobbies, opportunisme obscène, carriérisme frileux, conformisme « de fonction », fraude et plagiat, incompétence, starification, lubies idéologiques, etc. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer « l’affaire Raoult » et sa désormais célèbre chloroquine…
Impossible de ne pas évoquer ici, quitte à anticiper quelque peu la suite, le déni dont une partie importante du corps médical a fait preuve pendant des semaines – jusqu’à ce que la réalité ne déborde sous leurs propres yeux –, oubliant quelques fondamentaux de collégiens, dont le fait que le virus était inconnu, la maladie incurable et le précédent chinois exemplaire…
Ici encore le Covid-19 sonne comme un avertissement.
Ce sont ces éléments médico-épidémiologiques, en grande partie hors de notre portée, qui vont conditionner la suite des événements, bien entendu, et la profondeur des crises qui s’ouvrent.
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